L'inclusion n'est plus un "plus" : c'est devenu un marqueur de société avancée. Dans nos démocraties modernes, la capacité d'une nation à accueillir ses diversités révèle sa maturité sociale et économique.

Mais de quoi parle-t-on concrètement ? Loin du simple vivre-ensemble de façade, l'inclusivité mesure la capacité réelle d'une société à permettre à chacun de s'épanouir : une femme ingénieure qui accède aux mêmes postes de direction qu'un homme, une personne en fauteuil roulant qui peut emprunter les transports publics sans aide, un adolescent autiste qui trouve sa place à l'école, une personne issue d'une minorité qui accède au logement sans discrimination.

L'impact est direct et mesurable : dans les pays les plus inclusifs, les écarts de revenus se réduisent, les taux de suicide baissent, l'innovation explose. Car la diversité, c'est de la matière première pour la créativité collective - un phénomène bien documenté par la recherche sur l'inclusion en entreprise et en éducation.

Comment mesure-t-on l'inclusivité d'un pays ?

Plusieurs organismes tentent de quantifier l'inclusivité nationale. Le Social Progress Index évalue 170 pays sur 57 indicateurs, du niveau d'éducation à l'égalité des droits. Le Glass Ceiling Index de The Economist se concentre sur l'égalité professionnelle des femmes. L'Inclusiveness Index du Forum économique mondial compile données économiques et sociales.

Les critères pris en compte sont vastes : accès aux droits fondamentaux, égalité salariale, diversité en entreprise, accessibilité des espaces publics, représentations dans les médias et la politique, lois anti-discrimination. Chaque indice a sa spécialité, ses biais, ses angles morts.

Mais attention aux mirages. Ces indicateurs globaux lissent les réalités locales. Un pays "bien classé" peut rester très perfectible : la Suisse excelle économiquement mais se classe parmi les derniers pour l'égalité femmes-hommes au travail. Le Japon brille par ses innovations technologiques inclusives mais maintient des cultures d'entreprise discriminantes.

La mesure révèle surtout une vérité dérangeante : depuis 2020, le progrès social stagne ou recule dans de nombreuses régions, particulièrement en matière de droits civiques et de libertés fondamentales, bien que cette tendance varie selon les zones géographiques et les domaines considérés.

Et la neurodiversité dans tout ça ?

Voici le grand absent des classements : la prise en compte des cerveaux qui fonctionnent différemment. Autisme, TDAH, dyslexie, haut potentiel... Ces profils représentent pourtant 15% de la population, mais restent largement invisibilisés dans les statistiques d'inclusion - une omission documentée par plusieurs études récentes sur l'inclusion éducative et professionnelle.

Quelques pays font figure de pionniers :

Royaume-Uni : l'approche "neurodiversity-friendly"

Les entreprises britanniques développent des politiques spécifiques : entretiens d'embauche adaptés, espaces de travail sensoriels, formations des managers. Le pays a intégré en 2024 le Disability Equality Index international, reconnaissant la neurodiversité comme un enjeu économique majeur.

Canada : l'inclusion scolaire et professionnelle

Avec son Framework for Autism in Canada, le pays structure une approche globale en 5 priorités : améliorer les diagnostics, favoriser l'inclusion économique, développer la recherche, sensibiliser le public, créer des outils adaptés. Les universités canadiennes sont pionnières dans l'accompagnement des étudiants neuroatypiques.

Suède : l'autonomie par les services publics

L'Agence suédoise pour l'accessibilité coordonne des services publics orientés vers l'autonomie des personnes TSA et TDAH. Transports adaptés, interfaces numériques simplifiées, formations professionnelles sur mesure : l'approche est systémique.

À l'inverse, certains pays restent dans le déni ou la stigmatisation. Les obstacles persistent partout : formation insuffisante des professionnels (documentée notamment dans l'enseignement supérieur et le recrutement), rigidité des systèmes de diagnostic, pression sociale vers la "normalisation".

Top 10 des pays les plus inclusifs (et pourquoi)

Classement synthétique établi à partir du Social Progress Index 2025, du Glass Ceiling Index 2024, et des indices de handicap - il s'agit d'une analyse comparative basée sur plusieurs indicateurs, non d'un classement institutionnel unique

1. Norvège - Le modèle nordique

Score Social Progress Index : 92/100 (ex-æquo 1er)

La Norvège incarne l'équité poussée à l'extrême. Congés parentaux égalitaires, quotas de femmes dans les conseils d'administration, discrimination positive assumée. Le pays investit massivement dans l'accessibilité : 95% des stations de métro d'Oslo sont adaptées aux fauteuils roulants.

"Ici, personne ne me regarde bizarrement quand j'utilise ma canne blanche dans le métro. Les annonces sont claires, les quais sécurisés, et surtout, les gens proposent spontanément leur aide sans être intrusifs." - Thomas, malvoyant, expatrié français à Oslo depuis 3 ans.

Points forts : Égalité des sexes, accessibilité physique, services publics inclusifs
Points d'amélioration : Intégration sociale des nouveaux arrivants, reconnaissance des diplômes étrangers

2. Danemark - L'inclusion pragmatique

Score Social Progress Index : 92/100 (ex-æquo 1er)

Les Danois excellent dans l'inclusion "par le design". Leurs villes sont pensées pour tous : pistes cyclables larges, signalétique universelle, bâtiments publics 100% accessibles depuis les années 90. L'école inclusive y est la norme, pas l'exception.

"Ma fille autiste est scolarisée dans une classe ordinaire avec un accompagnant formé. Elle progresse à son rythme, sans être stigmatisée. C'est naturel ici." - Sophie, mère de famille, Copenhague.

Points forts : Design universel, école inclusive, marché du travail ouvert
Points d'amélioration : Pression sociale vers la conformité, coût de la vie

3. Suède - Le leadership féminin

Score Glass Ceiling Index : 1er mondial (2024)

Premier pays au monde pour l'égalité professionnelle femmes-hommes, la Suède a révolutionné les congés parentaux (480 jours partagés équitablement). L'Agence pour l'accessibilité coordonne une politique inclusive systémique.

Points forts : Égalité des sexes, neurodiversité, innovation sociale
Points d'amélioration : Montée des tensions sociales, ségrégation urbaine

4. Islande - La pionnière

Score Glass Ceiling Index : 2e mondial

Première à avoir eu une présidente (1980), l'Islande maintient un niveau d'égalité exceptionnel malgré une petite baisse récente. Sa taille humaine facilite les expérimentations sociales.

Points forts : Égalité des sexes historique, cohésion sociale
Points d'amélioration : Économie fragile, choix limités pour les minorités

5. Finlande - L'éducation inclusive

Score Social Progress Index : 91.3/100 (3e mondial)

Le système éducatif finlandais, référence mondiale, intègre naturellement l'inclusion. Pas de redoublement, pédagogies différenciées, accompagnement personnalisé : chaque élève trouve sa voie.

Points forts : Éducation inclusive, égalité des chances
Points d'amélioration : Vieillissement démographique, conservatisme rural

6. Pays-Bas - L'ouverture culturelle

Score Social Progress Index : 87.73/100 (9e mondial)

Pionniers des droits LGBT+ (mariage homosexuel légal depuis 2001), les Néerlandais cultivent la tolérance. Amsterdam est l'une des villes les plus accessibles d'Europe.

Points forts : Droits LGBT+, accessibilité urbaine, multiculturalisme
Points d'amélioration : Inégalités scolaires, montée de l'extrême droite

7. Canada - La diversité assumée

Score Social Progress Index : 87.8/100 (8e mondial)

Le multiculturalisme officiel cache des tensions persistantes, notamment avec les peuples autochtones. Mais l'effort d'inclusion des personnes handicapées et neuroatypiques est remarquable.

Points forts : Multiculturalisme, accessibilité, neurodiversité
Points d'amélioration : Relations avec les peuples autochtones, coût du logement

8. Nouvelle-Zélande - L'intégration autochtone

Rare exemple de réconciliation réussie avec les peuples premiers, la Nouvelle-Zélande intègre la culture maorie dans ses institutions. Jacinda Ardern a incarné un leadership féminin empathique.

Points forts : Réconciliation autochtone, leadership féminin
Points d'amélioration : Isolement géographique, inégalités persistantes

9. Allemagne - L'inclusion industrielle

Score Social Progress Index : 87/100 (10e mondial)

Moteur économique européen, l'Allemagne investit massivement dans l'accessibilité : 27,6% du PIB consacré au social, formation professionnelle inclusive, entreprises adaptées.

Points forts : Accessibilité physique, formation professionnelle
Points d'amélioration : Plafond de verre persistant, bureaucratie

10. Australie - L'inclusion océanienne

Score Social Progress Index : 87.77/100 (8e mondial)

Medicare universel, lois anti-discrimination complètes, villes accessibles : l'Australie mise sur l'inclusion pragmatique, malgré un passé colonial lourd.

Points forts : Santé universelle, accessibilité urbaine
Points d'amélioration : Relations avec les communautés aborigènes, changement climatique

Inclusivité perçue vs vécue : un écart réel

Les classements ne disent pas tout. Derrière les statistiques flatteuses se cachent souvent des réalités plus nuancées.

"Sur le papier, la Suisse est parfaite. Dans les faits, trouver un logement avec certains profils peut relever du parcours du combattant, même avec un CDI et de bons revenus." - Amina, ingénieure informatique, Zurich.

"L'Allemagne a d'excellentes infrastructures pour les fauteuils roulants, mais les mentalités traînent. On me parle encore à ma compagne valide plutôt qu'à moi directement." - Marcus, consultant, Berlin.

Certaines lois très inclusives peinent à changer les comportements. Le racisme latent, le validisme persistant, les discriminations à l'embauche survivent malgré les textes. L'inclusion légale ne garantit pas l'inclusion sociale - un écart largement documenté par les études sur l'expérience subjective des minorités.

L'inverse existe aussi : des pays moins bien classés où l'accueil humain compense les lacunes institutionnelles. Le Portugal, malgré ses difficultés économiques, affiche une tolérance remarquable. Le Costa Rica surprend par son ouverture malgré son conservatisme apparent.

Et la France dans tout ça ?

La France présente un profil contrasté. 5e au Glass Ceiling Index pour l'égalité professionnelle femmes-hommes, elle dispose d'un cadre légal avancé : lois anti-discrimination, accessibilité obligatoire, quotas de parité.

Mais l'application reste en décalage. Sous-représentation criante des minorités dans les médias et la politique, rigidité administrative kafkaïenne, centralisation parisienne excluante. La République "une et indivisible" peine à reconnaître ses diversités.

Sur la neurodiversité, le réveil est tardif mais réel. Les diagnostics restent lents (18 mois d'attente moyenne pour l'autisme), les parcours de soins inégaux selon les territoires. Mais les mentalités évoluent : doublement des étudiants handicapés accompagnés dans le supérieur entre 2017 et 2023, atteignant 2% des effectifs.

L'école inclusive progresse à petits pas, freinée par le manque de formation des enseignants et la résistance au changement. Les entreprises s'y mettent doucement, poussées par l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés.

Le paradoxe français ? Un universalisme républicain qui refuse les statistiques ethniques mais peine à réduire les discriminations faute de les mesurer précisément. Une égalité théorique qui bute sur les plafonds de verre et les territoires oubliés.

"Je suis née en France, j'ai fait mes études ici, mais on me renvoie parfois à mes origines supposées plutôt qu'à mes compétences. Cette inclusion à géométrie variable, ça use." - Khadija, avocate, Lyon.

Faut-il déménager pour être accepté ?

L'inclusivité ne se résume pas à un passeport. C'est une dynamique culturelle et politique qui se construit dans la durée. Les pays les plus inclusifs aujourd'hui ont connu leurs propres périodes sombres : la Suède a pratiqué l'eugénisme jusqu'aux années 70, l'Allemagne sort de décennies de nazisme.

Ce qui compte, c'est la capacité d'une société à apprendre de ses erreurs, à questionner ses privilèges, à faire évoluer ses normes. Les jeunes générations, partout dans le monde, portent cette exigence d'inclusion avec une détermination inédite.

L'enjeu dépasse les frontières : créer des environnements où chacun peut se sentir légitime, reconnu et en sécurité. Que ce soit dans une école de Stockholm, un bureau de Toronto ou un café de Toulouse.

Car l'inclusion, rappelons-le, n'est pas une faveur accordée aux minorités. C'est une exigence démocratique, un investissement dans l'intelligence collective, une condition de la paix sociale. Dans un monde qui se fragmente, elle devient notre boussole commune.

Les sociétés les plus inclusives ne sont pas celles qui ignorent les différences, mais celles qui en font une richesse partagée.


Sources principales : Social Progress Index 2025, Glass Ceiling Index 2024, Disability Equality Index 2024, Framework for Autism in Canada, Eurostat 2024. Analyse enrichie par des études récentes sur l'inclusion éducative, professionnelle et la neurodiversité.

Publié par David

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1 commentaires sur Inclusion dans le monde : où vit-on le mieux quand on sort de la norme ?