Malgré leur nom, les sites de rencontres peuvent souvent être des lieux qui accentuent les difficultés sociales des personnes neuroatypiques. Pour les profils de personnes HPI, TSA ou encore TDAH, il peut être très difficile d’y faire des rencontres, de sauter le pas, ou d’entretenir des conversations. On se penche sur les raisons pour lesquelles les personnes concernées rencontrent souvent des difficultés sur les sites de rencontre, et sur les solutions éventuelles.

Comment fonctionnent les sites de rencontre « classiques » ?

Les difficultés rencontrées sur les sites de rencontre ne sont pas réservées aux profils neuroatypiques. Leurs mécanismes sont régulièrement critiqués… Malgré leur succès : un quart des Français ayant rencontré un.e partenaire depuis le confinement l’aurait fait sur un site de rencontre, selon une étude Ifop.

Ce qui interroge utilisateurs et commentateurs, ce sont les algorithmes et procédés utilisés pour faire se rencontrer les utilisateurs. L’inscription étant très facile, les profils sont légion, et beaucoup d’entre eux sont peu détaillés. Selon une étude menée par Le Point, seuls 59 % des profils masculins disposeraient d’une description sur les sites de rencontre. Difficile donc de connaître une personne avec une simple photo !

Un autre élément à prendre en compte est l’utilisation d’algorithmes. Leurs fonctionnements sont bien gardés par les entreprises mais ils ont un but : étaler la distribution de profils intéressants pour l’utilisateur. Cela permet de le faire rester sur le site plus longtemps, et donc de mieux monétiser sa présence. C’est aussi un moyen subtil d’inciter les utilisateurs à passer par un profil payant, en jouant sur leurs frustrations.

L’exemple le plus parlant a été le scandale du « score de désirabilité » de Tinder, qui a été révélé par la journaliste Judith Duportail en 2019 avec son livre enquête « L'amour sous algorithme » Elle a montré à l’époque que l’application de rencontre classait ses utilisateurs en fonction de leur désirabilité subjective, basée sur l’apparence physique, ou encore l’intelligence, en analysant la manière dont les utilisateurs écrivaient. Tinder a depuis abandonné ce modèle.

Critères fixes et supermarché des célibataires

Sur les sites de rencontre « classique », on invite également les utilisateurs à renseigner des préférences très précises. Taille, couleur des yeux, poids… Il est possible de faire le portrait-robot de son ou sa conjoint.e idéal.e

Cela a deux conséquences notables. Tout d’abord, cela rend les utilisateurs de sites de rencontre plus sélectifs que dans la « vraie » vie, ce qui génère de la frustration (et moins de rencontres). Mais cela revient aussi à considérer les personnes comme des marchandises, avec des profils qui se déshumanisent dans l’esprit des utilisateurs.

La pauvreté des profils est particulièrement notable sur les sites, avec des personnes qui ne sont représentées que par une photo, et une liste de mots-clés qui rassemble leurs hobbies et intérêts. Réduire quelqu’un à quelques attributs ne permet ainsi pas franchement de discerner ce qui la rend unique.

Des comportements problématiques ?

Les fonctionnements des sites de rencontre incitent par ailleurs à des comportements qui peuvent être jugés problématiques, voire « anti-sociaux », selon certains chercheurs. Un exemple concret : si l’humanité de la personne en face est moins perceptible pour les utilisateurs, ceux-ci peuvent alors la « ghoster », c’est-à-dire cesser abruptement la conversation sans explication. Fléau des sites de rencontre, ce comportement est pour autant particulièrement courant.

D’autres problèmes sont également légion sur les applications de rencontre : notamment l’exhibition ou le harcèlement sexuel, dont sont victimes beaucoup de profils féminins, et qui sont facilités par un pseudo-anonymat. Mais aussi une certaine fétichisation des profils, ceux-ci étant réduits à des attributs particuliers et plus considérés dans leur globalité.

Ces limitations des sites de rencontre complexifient déjà les choses pour les personnes « typiques », mais si l’on a un fonctionnement neurologique différent, cela peut s’avérer encore plus difficile, comme on va le voir.

Sites de rencontres : pourquoi c’est compliqué pour les personnes neuroatypiques ?

On peut détailler plusieurs raisons qui font que les personnes neuroatypiques ont en général plus de difficultés avec les sites de rencontre. C’est dû à leurs fonctionnements spécifiques, qui diffèrent de la norme.

Il faut tout d’abord noter que très peu d’études se basent sur ce sujet, car le champ de la neuroatypie est très vaste. Mais aussi parce qu’il est parfois difficile de démêler ce qui a trait à nos différences neurologiques ou à nos expériences personnelles. Est-ce que j’ai du mal avec les sites de rencontre parce que mon TDAH me cause des difficultés dans la mise en relations ? Parce que j’ai vécu des expériences traumatisantes et que je me méfie ? Parce que je ne suis pas à l’aise avec l’écrit ? Ou parce que je suis simplement introverti ?

Cela dit, on peut tirer quelques conclusions de ces fonctionnements différents, et partir du principe qu’ils n’aident pas toujours quand il s’agit de s’inscrire sur un site de rencontre. La liste suivante n’est bien sûr pas exhaustive, mais permet de dégager quelques tendances.

Savoir bavarder et se vendre : plus difficile pour les neuroatypiques ?

Quand on est neuroatypique, on a souvent le bavardage sans substance en horreur. Mais la plupart des personnes ont besoin d’une première phase de conversation où l’on aborde des sujets de surface (la météo, ses occupations, la dernière série Netflix…) avant de passer à autre chose. Cela peut donc rendre les premiers contacts sur un site de rencontre rébarbatifs. À l’inverse, on peut aussi tout de suite aller trop loin dans la discussion, et l’on fait fuir la personne en face.

Quand on doit aller sur un site de rencontres, on doit également se « vendre ». Et à ce petit jeu, les personnes neurodivergentes ne sont pas souvent douées. Trop honnêtes, pas assez sûres d’elles, ou tout simplement peu intéressées par le fait de dénicher la photo parfaite… Cela n’aide pas sur des plateformes particulièrement compétitives.

Des difficultés à maintenir les conversations

Les personnes neuroatypiques peuvent également avoir du mal à maintenir une conversation, pour des raisons diverses. Chez les autistes asperger, il peut y avoir des difficultés à percevoir quand relancer une conversation ou quand la laisser souffler. Ils peuvent alors apparaître comme trop distants… Ou à l’inverse trop étouffants. Cela rejoint bien sûr la difficulté plus large de perception des normes sociales.

Du côté des personnes avec un trouble de l’attention, les potentielles rencontres peuvent générer leur lot de stimulation et de dopamine… Pour un temps. Une personne TDAH aura donc parfois du mal à maintenir son attention sur le long terme, une fois les premiers papillons passés. Quant aux personnes HPI, elles ont besoin de conversations « nourrissantes » intellectuellement, et peuvent donc se lasser vite de celles qu’elles trouvent sur les sites de rencontre.

Ce ne sont que des exemples, mais cela montre que les difficultés sociales rencontrées par les profils atypiques sont démultipliées dans un cadre de rencontres et de séduction. Sans mentionner toutes les problématiques d’attachement (codépendance, vulnérabilité aux personnes malveillantes, etc.) qui sont souvent légion chez les personnes neurodivergentes.

Hypersensibilité au rejet : courant pour les personnes neuroatypiques ?

À ce sujet, on peut aussi mentionner l’hypersensibilité au rejet (rejection sensitivity dysphoria), qui est une autre forme d’hypersensibilité. Elle peut faire souffrir tout le monde, mais en particulier les personnes concernées par le TSA, le TDAH, ou encore le HPI. Ce cluster de symptômes a été décrit en premier par le Docteur William W. Dodson. On peut le décrire comme suit :

« Une réponse émotionnelle extrême face à une critique ou un rejet, que ce dernier soit réel ou seulement perçu par la personne. »

Dans le cadre de rencontres amoureuses, une personne hypersensible au rejet peut remettre en question l’intégralité de sa valeur face à une conversation qui s’achève sans raison perceptible. Elle peut entrer dans une forte colère en cas de retard à un rendez-vous, le percevant comme un manque de respect. L’absence de réponse peut aussi être particulièrement mal vécue. Tout cela se conjugue donc pour faire des sites de rencontre une expérience parfois particulièrement négative pour les personnes neuroatypiques.

Les questions de genre et de sexualité

Un autre facteur à prendre en compte est l’identité de genre et la sexualité des personnes neurodivergentes. Là aussi, les recherches n’en sont qu’à leurs balbutiements, mais une tendance se dégage nettement. Les personnes autistes seraient plus enclines à s’identifier comme LGBT+, c’est-à-dire comme non hétérosexuelles ou non cisgenres.

Une étude de l’université de Cambridge indiquerait que les adolescents et adultes autistes seraient 8 fois plus susceptibles de s’identifier comme non hétérosexuels. Selon un rapport plus récent de la fondation SPARK, le taux de prévalence d’identités LGBT+ est trois à quatre fois plus élevé chez les autistes.

On retrouve cela chez les personnes concernées par un TDAH. Une étude de 2014 indiquait en effet qu’elles seraient 6,6 fois plus susceptibles de questionner leur genre. Cela semble être confirmé par des observations anecdotiques, mais aussi par une tendance plus globale. Les personnes neurodivergentes sont plus enclines à questionner les schémas et modèles liés au genre et à la sexualité, il est donc logique qu’elles soient aussi plus ouvertes à se poser la question pour elles-mêmes.

Le lien avec les sites de rencontre, c’est bien sûr qu’il reste plus difficile pour une personne LGBT+ d’être acceptée, ou de trouver ses pairs. Cela rajoute donc une difficulté potentielle pour les personnes neurodivergentes qui souhaitent trouver l’âme sœur. Sans parler du fait que les sites de rencontre classiques sont particulièrement « hétéronormés ».

Des différences de fonctionnement

Entre une personne neuroatypique et typique, il peut y avoir ce qui s’apparente à des fossés en termes de fonctionnement, avec des problèmes de traduction simultanée. Nous ne « parlons » parfois pas la même langue. Et dans un domaine comme les relations amoureuses, qui ont le poids émotionnel que l’on connaît, les effets sont décuplés.

On l’évoquait plus haut, la culture du dating est très « consommatrice ». Les profils sont traités comme des marchandises, les sites de rencontre ressemblent à un marché où l’on fait son shopping – il n’y a qu’à voir le logo du site « Adopte un Mec » pour s’en convaincre.

Mais si l’on parcourt les témoignages sur les forums d’Atypikoo, on se rend compte que les personnes neuroatypiques ont tendance à trouver cela gênant, voire carrément rebutant. Les « étapes » du dating sont également sources de confusion pour beaucoup d’entre nous. Pourquoi attend-on des hommes qu’ils fassent le premier pas ? Pourquoi est-il accepté de se rencontrer au restaurant ? Pourquoi est-on incité à attendre avant de faire l’amour avec une nouvelle personne ? Autant de questionnements qui montrent que le fossé entre les différents utilisateurs est parfois particulièrement profond.

Conseils et alternatives

Pour les personnes atypiques qui souhaitent faire des rencontres, on conseillera bien sûr de trouver des plateformes alternatives, comme Atypikoo, cette dernière étant inspirée des sites de rencontres « classiques » avec une approche orientée « slow dating ». Les sorties organisées en groupe permettent de rencontrer d’autres membres et voir si des affinités se créent naturellement avec les personnes présentes.

On peut aussi conseiller d’être clair sur ses particularités dès le départ, afin de mettre ses besoins en avant. Cela permet aussi de tomber sur des profils avec un fonctionnement similaire. Ce n’est bien sûr aucunement un gage de succès, mais cela facilite les choses, dans un secteur qui accentue les difficultés sociales.

Si la visite de sites de rencontre peut causer plus de frustration que de satisfaction, on conseillera aussi de faire une pause afin d'éviter la « dating fatigue » car au final, qui a dit qu'il fallait être en couple pour être heureux ?

Publié par Cam

Journaliste HPI/TSA à la recherche du mot juste et d'un monde plus ouvert à la différence. Créatrice du podcast Bande d'Autistes !
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50 commentaires sur Pourquoi les sites de rencontre ne matchent pas avec moi ?