De plus en plus d’études montrent que les identités LGBTQ+ sont présentes de manière bien plus courante chez les personnes neuroatypiques que dans le reste de la population. Serait-ce alors dû à un fonctionnement différent, ou simplement à une plus grande liberté d’exploration ? On essaie d’y voir plus clair dans cet article.
Il convient tout d’abord de faire un petit rappel. Si l’acronyme LGBTQ+ (pour lesbienne, gay, bisexuel, transgenre, queer, et toutes les autres identités) est devenu courant, il renferme une (très) grande diversité d’expériences. Les personnes LGBTQ+ ont en effet des identités de genre et des préférences sexuelles diverses, et elles n’existent pas de manière monolithique.
Que sont alors les identités LGBTQ+ ? On retrouve sous ce terme les personnes non hétérosexuelles, c’est-à-dire qui ne sont pas (ou pas uniquement) attirées par des personnes du même genre. Mais aussi les personnes non cisgenres, c’est-à-dire dont le genre ne correspond pas au sexe biologique de leur naissance. Pour rappel, le sexe d’une personne correspond à ses attributs sexuels physiques (pénis, seins, etc.), alors que le genre est son identité (homme, femme, non-binaire…). Les deux ne sont pas nécessairement accordés : c’est ce qu’on appelle la dysphorie de genre.
Il faut aussi distinguer l’attraction romantique de l’attraction sexuelle. Une personne peut en effet nous attirer de manière romantique (avec l’envie de créer une relation) ou sexuelle (avec l’envie d’avoir des rapports sexuels). Mais les deux ne sont pas non plus forcément liés. L’on peut ainsi être attiré uniquement romantiquement par les femmes, sans désir sexuel, l’on peut être attiré uniquement sexuellement par les hommes sans envie de relation… Et tout cela peut varier au cours d’une vie !
Si l’on combine donc genre, attraction sexuelle et attraction romantique, il y a beaucoup plus de cas de figure qu’on ne le pense couramment. Voici quelques exemples :
Ce qu’il faut retenir, c’est que les identités de genre et les préférence sexuelles sont extrêmement variées, et surtout qu’elles sont évolutives. On n’est pas forcés de décider une bonne fois pour toutes de qui l’on est : la fluidité est une composante courante des identités LGBT.
Comme nous l’expliquions en début d’article, ces dernières années ont fait émerger un lien entre la neuroatypie et les identités LGBTQ+. Cela inclut donc les personnes autistes, les personnes présentant un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), ou les personnes présentant un haut potentiel intellectuel (HPI). Cela veut dire que les profils neuroatypiques sont statistiquement plus couramment homosexuels et/ou transgenres.
Plusieurs études viennent éclairer ce lien encore méconnu entre autisme et variabilité dans l’identité de genre. L’une des plus couramment citées est celle de Mark Stokes, datée de 2018 :
« Il y a une surreprésentation de la dysphorie de genre au sein des personnes touchées par un trouble du spectre autistique. […] Les résultats suggèrent que l’autisme présente une expérience unique en termes de formation et de consolidation de l’identité de genre. »
En d’autres termes, les autistes sont plus couramment non cisgenres, et s’identifient souvent par un genre distinct de leur sexe de naissance.
Cela semble aussi être le cas pour les personnes TDAH, bien que les recherches sur le sujet soient moins nombreuses. Une étude récente, datée de 2022, tendait ainsi à confirmer ceci. Par ailleurs, il semblerait que cela soit encore plus le cas que pour les personnes autistes, selon une étude de 2014 :
« Les participants avec TDAH étaient 6,64 fois plus sujets à exprimer une variance de genre. »
C’est aussi le cas pour les personnes HPI, si l’on en croit plusieurs études conduites à ce sujet. En 2014, l’une d’entre elles, qui avait observé des étudiants d’Université, concluait ainsi :
« Les preuves présentées suggèrent fortement que les étudiants LGBTIQ sont surreprésentés dans les programmes destinés aux étudiants surdoués. »
Au-delà des observations anecdotiques, il semble donc bien y avoir plus d’identités de genre variées chez les personnes neuroatypiques.
Les personnes neuroatypiques semblent par ailleurs plus couramment attirées par des personnes du même genre, ou par plusieurs genres. On vient de le voir pour les personnes HPI, mais cela serait aussi le cas pour les personnes autistes et présentant un TDAH.
Chez les autistes, cela serait même particulièrement présent : une étude de 2017 publiée par Mark Stokes indique ainsi que 69,7 % des autistes interrogés se considèrent comme « non-hétérosexuels ».
Pour les personnes présentant un TDAH, les recherches sont encore une fois moins nettes, mais la tendance semble être la même : un sondage de 2022 montrait ainsi que près de la moitié des adultes avec TDAH interrogés avaient eu des expériences homosexuelles, et que 30 % d’entre eux se considéraient comme homosexuels, bisexuels ou « incertain/autre ». Chez les personnes HPI, le même chiffre de 30 % est cité, notamment par une étude publiée par Terry Friedrichs.
Un autre point qu’il faut préciser, c’est que tout comme pour la neuroatypie, il est tout à fait possible d’être transgenre ou non hétérosexuel sans le savoir ! Il ne faut pas sous-estimer le poids d’une société très « hétéronormée », qui a tendance à ranger les identités de manière binaire, avec une homophobie qui reste malheureusement latente.
Comment alors savoir si l’on est concerné par une identité LGBT ? Voici quelques pensées courantes chez les personnes concernées, qui peuvent mener à un début de réflexion :
Identité de genre |
Attirance sexuelle / romantique |
Je n’ai jamais compris pourquoi on considérait le genre comme si important |
J’ai déjà fantasmé sur le fait d’avoir des relations sexuelles avec le même genre que le mien |
La société me dit que je suis une femme/un homme, mais personnellement je m’en fiche un peu |
J’ai déjà eu des « crush » sur des personnes du même genre, sans être nécessairement attiré sexuellement |
J’imagine parfois ce que je pourrais faire si j’étais une femme/un homme |
Je ne vois pas bien ce que le genre a à faire avec l’attirance : cela n’entre pas en compte dans mes choix |
J’aurais préféré naître femme ou homme |
Je fixe souvent du regard certains attributs physiques de certains genres, je ne sais pas trop pourquoi |
Mes attributs sexuels ou genrés (organes sexuels, seins, barbe…) me répugnent un peu |
J’aurais aimé pouvoir explorer avec des hommes/des femmes, mais je n’ai pas pu |
On me dit souvent que je suis très masculin.e ou très féminin.e pour mon genre |
J’ai peur que mes proches sachent que je fantasme sur des personnes du même genre |
Si je pense trop à mon identité de genre, je commence à paniquer |
Je m’imagine ce que cela ferait d’avoir des relations sexuelles avec différents genres |
J’ai l’impression que mon genre est un poids, j’aimerais m’en débarrasser ou ne plus être perçu.e en tant que femme/homme |
Je me demande régulièrement si je suis attiré par autre chose que le genre opposé |
On ne peut bien sûr que spéculer sur les raisons de cette corrélation entre identités LGBTQ+ et fonctionnements neuroatypiques. Mais l’on quand même peut donner quelques pistes. Il est parfois théorisé que la surreprésentation des identités LGBT chez les personnes autistes est due à leur imperméabilité aux codes sociaux. Quand on n’est pas conscient des codes, ou qu’on les rejette activement, il est alors plus aisé d’explorer ce qui est encore considéré comme « hors-normes ».
Chez les personnes TDAH, le goût de la nouveauté, ainsi parfois que les comportements sexuels hors norme ou risqués, peuvent aussi avoir un rôle à jouer. Dernièrement, certains considèrent que les personnes HPI, avec leur besoin d’exploration intellectuelle, sont aussi plus sujettes à explorer leur sexualité et leur identité de genre.
Ou pour dire les choses différemment : les personnes neuroatypiques sont-elles plus couramment LGBTQ+ parce qu’elles sont différentes, ou simplement parce qu’elles se débarrassent plus facilement des normes liées au genre et à la sexualité ?
Cette dernière hypothèse tend à être confirmée par les statistiques que l’on connaît sur les personnes neurotypiques. Plusieurs études montrent en effet que les personnes qui se disent hétérosexuelles manifestent couramment du désir sexuel pour les situations sexuelles homosexuelles. Une étude récente de 2022 indiquait par ailleurs qu’une part non négligeable des hommes s’identifiant comme hétérosexuels avait néanmoins des attirances sexuelles pour les autres hommes.
L’étude concluait aussi que les femmes semblaient plus à même d’admettre leurs attirances du même genre, et que les hommes étaient probablement freinés dans l’exploration de leur sexualité par les interdits sociaux, qui pèsent très lourdement sur l’homosexualité masculine.
Dans un monde où chacun serait libre d’explorer son genre et sa sexualité, il est donc possible que l’écart entre personnes neuroatypiques et personnes neurotypiques soit réduit. Mais il est bien sûr impossible de le savoir avec certitude, tant les codes sociaux liés au genre et à la sexualité sont ancrés.
Beaucoup de personnes neuroatypiques s’identifient en tant que personnes LGBTQ+. Que ce soit en ayant un genre qui diffère de la norme, ou en étant attiré par des identités de genre variées. Il est à ce stade difficile de savoir si la différence de « câblage » neurologique est directement en cause, ou s’il s’agit d’une plus grande liberté d’expression et d’exploration.
Plus de recherches sont donc nécessaires, mais en attendant, si l’on est neuroatypique et queer, on peut être à peu près certain qu’on n’est pas le seul dans ce cas.
1 commentaires sur Neuroatypies et identités LGBTQ+ : y a-t-il un lien ?