Le mot « gratuit » attire la curiosité et le regard de nombreuses personnes en quête de bons plans et d’économies. D’ailleurs, le marketing a bien compris cette faille et utilise régulièrement ce stratagème en guise d’appât, mettant en avant la gratuité d’un service ou d’un produit pour séduire de nouveaux clients ou consommateurs. La gratuité a pris une nouvelle dimension avec l’avènement d’Internet. Pendant de nombreuses années, la toile a littéralement contribué à semer le trouble sur la notion d’accessibilité et de gratuité et a perturbé l’économie de nombreux secteurs, notamment artistiques. Le vent de liberté digital a notamment démocratisé l’accès à la culture et aux contenus en outrepassant le respect du travail des artistes et des créateurs de contenus qui se sont vus dépossédés de leurs droits d’auteurs et de leur rémunération. Le concept de la gratuité s’est également imposé dans de nombreux services digitaux, tels que l'utilisation d’une boite mail, d’un réseau social, d’une intelligence artificielle ou d’un site de rencontres… Profiter d’un service gratuit peut nous sembler normal et/ou plaisant, mais est-ce que cette gratuité est fondamentalement réelle, généreuse, éthique et réaliste ?

L'illusion du « gratuit » trouble la perception

La gratuité incarnerait l’une des nombreuses facettes d’un monde idéalisé. Imaginons-nous un instant prendre du pain chez un boulanger, des fruits et des légumes chez un maraîcher sans contrepartie financière. De même, loger dans un appartement ou une maison sans rembourser un prêt immobilier, et profiter de la chaleur du chauffage sans penser au montant de la facture. À première vue, cette vision peut sembler agréable, mais elle implique un autre aspect qui pourrait remettre en question ce modèle de société. Cette gratuité omniprésente induirait l’absence d’échanges monétaires et donc de salaires, en somme, nous pourrions profiter de la gratuité de tous les biens et les services dans l’hypothèse où notre salaire ne serait pas gratifié d’une rémunération. Le boulanger fournirait alors du pain aux habitants de son quartier en échange de remerciements. Il remercierait à son tour son fournisseur de matières premières, etc. Cette scène peut sembler incongrue et pourtant, la gratuité semble exister dans certaines sphères de la société. En France, l’accès à l’école, aux hôpitaux… demeure « gratuit ». Sur Internet, on peut s’envoyer des mails, des fichiers et des vidéos « gratuitement ». Dans notre modèle de société, on ne peut pas se contenter de remercier ces personnes qui travaillent pour fournir des biens et des services, même s’il s’agit de domaines indispensables, comme l’apprentissage, le soin et la communication. Donc qui les paye ? En réalité, derrière l’apparence de gratuité, les écoles et les hôpitaux reposent sur l’argent collecté par les impôts, donc nous payons chaque mois ces services de manière invisible mais pourtant bien réelle. Quant aux services de boite mail et aux réseaux sociaux, comment peuvent-ils exister sans contribution financière de notre part ? En réalité, ils fonctionnent grâce à notre contribution financière invisible, mais là aussi pourtant bien réelle. Ces services fonctionnent grâce à la publicité, donc in fine grâce aux produits que nous consommons.

La gratuité a-t-elle un prix ?

Le plaisir de profiter d’un bien ou d’un service de manière gratuite peut nous faire oublier les aspects éthiques que cela implique. Si quelqu’un me donne quelque chose, je ne vois pas forcément qu’il se prive de la valeur de l’objet qu’il m’offre. Si je déambule gratuitement dans un lieu culturel, je n’imagine pas forcément l’entretien, la logistique et le financement que cela implique. Si je profite gratuitement de quelque chose qui nécessite le travail d’une personne, je fais abstraction du fait qu’il travaille gratuitement pour moi. Si je profite gratuitement d’un service qui nécessite des coûts de fonctionnement, je ne m’interroge pas sur l’identité de la personne qui va payer à ma place, notamment pour la remercier. Par ailleurs, la gratuité retire fréquemment de la valeur à un bien, un objet, ou à un service. En effet, plus quelque chose coûte cher, plus cela augmente son caractère précieux et inaccessible. A contrario, ce qui ne coûte rien peut donner l’impression de manquer d’importance et d’estime. Même si cela ne nous semble pas évident ou conscient, tout ce dont nous profitons, à l’exception des fleurs et des fruits qui poussent sans intervention humaine, implique l’intervention d’au moins une personne qui a donné de son temps, de son énergie, de son argent… pour nous. La gratuité implique donc toujours un coût qui peut nous sembler invisible mais qui pèse sur une ou plusieurs personnes. Ce mécanisme ne repose pas forcément sur une forme de générosité ou de bienveillance de la part des personnes qui mettent à disposition des biens ou des services. Cela peut donc nous amener à réfléchir aux intentions des plateformes numériques qui affichent la gratuité comme appât tout en partageant les données personnelles à des publicitaires de manière assez opaque. Le fait de profiter gratuitement de biens ou de services peut nous empêcher de nous interroger sur les systèmes que nous utilisons, comme si notre silence était en quelque sorte « acheté ».  

La rencontre, un besoin humain gratuit ou payant ?

Les relations sociales contribuent à l’équilibre et au bien-être des hommes et des femmes. Pour certaines personnes, ce besoin vital ne devrait jamais se trouver conditionné à une contrepartie financière. Néanmoins, aucun besoin vital ne peut se trouver garanti par l’Etat providence, même l’accès à l’eau et à la nourriture nécessite une contribution financière. La solidarité joue son rôle d’entraide et de relais sociétal, mais avec certaines limites. Les relations humaines se trouvent elles-aussi bloquées à des points d’achoppement. Quand on n’arrive pas ou plus à rencontrer de nouvelles personnes, et si on a envie de se donner les chances de rencontrer un ou une partenaire de vie, il existe des plateformes pour augmenter nos chances. Ces catalyseurs d’espoir se trouvent souvent sous les feux des critiques, se trouvant perçues comme des machines à cash qui profitent du « désespoir » des célibataires. Cette vision acerbe se manifeste souvent en réaction et en opposition à la beauté de la quête de l’Amour et à l’opposé, au cynisme de la recherche de consommation de relations éphémères. Les sites de rencontres se trouvent souvent accusés de profiter des aspirations profondes des humains, telles que l’amour, le contact physique, la tendresse... Néanmoins, en réalité, les sites de rencontres ne monétisent pas le besoin d'amour en lui-même, mais ils mettent à disposition un système qui nous donne les moyens de réaliser une envie. De même que nous réglons notre consommation dans un bar où nous pouvons faire la rencontre qui peut changer notre vie, nous souscrivons un abonnement d’un site de rencontre sur lequel nous pourrons découvrir la personne que l’on espère rencontrer.

On peut facilement tomber dans le piège de la gratuité. Cependant, elle cache souvent des coûts plus importants que ceux que l’on imagine à première vue. Comprendre les mécanismes derrière la gratuité nous aide à choisir en conscience les convictions que nous voulons soutenir et défendre. Par ailleurs, le fait de payer pour quelque chose crée un effet psychologique puissant, tel un moteur qui va nous aider à nous propulser. À l’image de l’abonnement dans un club de sport que l’on a envie de rentabiliser, l’abonnement sur un site de rencontres peut nous aider à dépasser nos appréhensions et notre timidité pour oser contacter et rencontrer des inconnus.  

Publié par Delphine

Delphine est la cofondatrice du réseau social de rencontre Atypikoo et l'auteure du livre "Dating Authentique". Depuis plusieurs années, Delphine explore, à travers ses écrits, les spécificités des personnes neurodivergentes et leurs interactions amoureuses.
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13 commentaires sur Pourquoi les sites (de rencontres) devraient être gratuits ? Déconstruire une fausse croyance