« Asperger » ou « autiste » est-ce la même chose ? La distinction est de moins en moins faite entre ces deux profils, grâce à l’évolution des catégorisations. Alors peut-on alors encore se qualifier d’« Asperger » et y a-t-il une différence réelle entre ces deux neuroatypies ? On fait le tour de ce vaste sujet.

« Syndrome d’Asperger » : d’où vient cette catégorie ?

Si le terme « Asperger » est maintenant rentré dans le langage courant, on ne sait pas toujours d’où il est originaire. Hans Asperger est le nom d’un psychiatre autrichien qui a été parmi les premiers chercheurs à définir l’autisme, ou tout du moins une forme particulière d’autisme.

En 1943, Hans Asperger décrit en effet ce qu’il appelle la « psychopathie autistique de l’enfance ». Sur la base d’études portant sur plus de 200 enfants, il note des profils de fonctionnement communs. Ces enfants ont souvent de grandes difficultés à créer des liens amicaux, un « manque d’empathie », des tendances à converser par des monologues, ainsi que des mouvements empreints de maladresse.

Ces profils sont la base de ce qu’on appellera ensuite syndrome d’Asperger, c’est-à-dire une forme d’autisme sans retard verbal ni intellectuel. Ces profils sont souvent mieux « camouflés » que les autres, et peuvent échapper à la détection.

La séparation entre « autisme » et « syndrome d’Asperger »

Il est important de rappeler que pendant longtemps, le profil décelé par Hans Asperger a été considéré comme équivalent à l’autisme. Ce n’est qu’au début des années 1980 qu’autisme et syndrome d’Asperger ont été séparés, principalement grâce aux travaux de la psychiatre Lorna Wings. Celle-ci remet alors au goût du jour les travaux de Hans Asperger, et croise ses cas d’étude avec les siens pour définir ce qui sera ensuite présenté comme le syndrome d’Asperger. Sa définition diffère de celle du psychiatre Leo Kanner, qui présentera ce qu’on a ensuite appelé l’autisme « de Kanner ». C’est de là qu’est venu la distinction maintenant courante entre autisme classique et Asperger.

Il faut noter que Lorna Wings est ensuite revenue partiellement sur la différentiation entre autisme et syndrome d’Asperger, mais ce sont ses travaux (notamment la « triade autistique ») qui sont encore très largement utilisés pour catégoriser l’autisme. Nous y reviendrons plus bas.

Le terme de « syndrome d’Asperger » est désormais controversé. Tout d’abord parce que les chercheurs évoquent maintenant une continuité entre ce profil et le profil d’autisme « classique ». Mais aussi parce que les liens de Hans Asperger avec le parti nazi qui a opéré pendant la Seconde Guerre mondiale ont été établis. Une partie de la communauté autiste ne souhaite donc pas porter un nom qui soit associé au national-socialisme de l’époque et à Adolf Hitler.

La controverse entourant Hans Asperger et le parti nazi

Hans Asperger a en effet collaboré au parti nazi alors qu’il résidait à Vienne, et ses contributions ne se résument pas à une adhésion de façade, comme on peut encore parfois l’entendre. Selon l’historienne Edith Sheffer, qui a consacré son ouvrage Les Enfants d’Asperger au sujet, Hans Asperger a en effet activement sélectionné certains enfants autistes qui ont ensuite été envoyés à destination du « Am Spiegelgrund » de Vienne.

Le Am Spiegelgrund était « sanatorium » où des enfants jugés comme non aptes à vivre en société étaient transférés. Ils y subissaient des tortures sous forme de « tests » médicaux, et certains étaient « euthanasiés », c’est-à-dire exterminés. Bien qu’on ne sache pas s’il était conscient de ces massacres, Hans Asperger a donc sélectionné sciemment des enfants autistes en fonction d’une idéologie nazie qui séparait sujets « viables » et sujets non intégrables au sein de la société.

Par ailleurs, Hans Asperger aurait plusieurs fois montré des signes d'adhésion à l’idéologie nazie, qui souhaitait « purger » le peuple allemand. Ses courriers sont signés « Heil Hitler », et il a rejoint plus tard dans sa carrière des organisations liées au parti nazi. Des rapports d’investigation nazis jugeaient par ailleurs en 1939 que sa pratique professionnelle était « conforme aux lois raciales et de stérilisation du national-socialisme ». Pour rappel, la « stérilisation » évoquée ici est un des ressorts de la politique d’extermination portée par le régime nazi à l’encontre de divers peuples et catégories de personnes, dont les autistes.

D’après les nombreux éléments exhumés par des historiens, Hans Asperger aurait donc adhéré à des éléments de l’idéologie nazie spécifiquement liés à l’hygiénisme, et à la séparation d’individus entre éléments « intégrables » et éléments « inéducables ». Si l’on ne sait pas s’il a envoyé sciemment des enfants autistes à la mort, ce lien est suffisamment établi pour détourner une partie de la communauté autiste du terme « Asperger ».

Autisme et Asperger : existe-t-il des différences réelles ?

On vient de le voir, le nom « Asperger » est donc très chargé d’un point de vue historique. Mais ce n’est pas l’unique raison pour laquelle le terme de « syndrome d’Asperger » est rejeté par une partie de la communauté autiste.

L’évolution des catégorisations du DSM-V et de la CIM-11

L’autre grande raison, c’est que les chercheurs tendent désormais à considérer l’autisme comme un spectre global, qui renferme en soi ce qu’on appelait jusque là le « syndrome d’Asperger ». Depuis 2015, le DSM-V ne retient en effet plus qu’une catégorie, celle de « Trouble du spectre autistique (TSA) », classé dans les « troubles neurodéveloppementaux ». Le TSA est caractérisé par :

  • des déficits persistants de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés ;
  • le caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités

C’est ensuite le niveau d’aide requis qui est utilisé pour juger de la « sévérité » des difficultés. De son côté, la Classification internationale des maladies (CIM), qui est publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a également abandonné le terme d’Asperger dans sa dernière version, publiée en 2019. Là aussi le terme « trouble du spectre de l’autisme » est retenu, avec différentes sous-catégories en fonction des capacités langagières et du retard intellectuel.

Jusque-là, les classifications décrivaient le syndrome d’Asperger comme un trouble séparé du trouble autistique, qui affectait les capacités sociales d’une personne, sans affecter les capacités d’autonomie ou le comportement adaptatif. Mais cela n’est plus le cas.

La question du langage et du quotient intellectuel

Pour résumer, un profil Asperger serait une personne autiste disposant de suffisamment de capacités d’adaptation et d’autonomie pour avoir développé des compétences « normales », sauf dans le cadre des compétences sociales. Par ailleurs, le profil Asperger ne présente jamais de retard de langage (au contraire, les personnes peuvent disposer d’un vocabulaire très riche, très tôt dans l’enfance). Enfin, leur QI est dans la norme ou supérieur à la moyenne, à l’inverse du profil autistique « classique » qui peut présenter une déficience.

On peut résumer ainsi la différence autisme/Asperger telle qu’elle a été historiquement décrite :

 

Autisme

Asperger

Difficultés sociales

Oui

Oui

Comportements/gestes répétitifs

Oui

Pas nécessairement

Score de QI

Tous scores

Dans la moyenne et au-delà

Retard de langage dans l’enfance

Très courant

Non

 

Les profils Asperger correspondent donc à ceux que Hans Asperger lui-même qualifiait de « petits professeurs ». C’est-à-dire des enfants qui ont développé des compétences ou connaissances très poussées dans des domaines précis, mais qui ne montrent pas les compétences sociales habituelles pour leur âge, ce qui freine leur développement.

Une séparation pas si nette que cela ?

Mais comme on l’a évoqué plus haut, les publications actuelles tendent à se débarrasser de ces classifications. Pourquoi ? Parce qu’il est désormais estimé que le « spectre » de l’autisme n’existe pas de manière linéaire. On n’est en effet pas « un peu » autiste ou « très autiste ».

Les handicaps qui pèsent sur des profils autistiques peuvent en effet être variés. Une personne autiste pourra ainsi présenter une très grande autonomie dans le travail, avoir une vie sociale riche… Mais être incapable de s’occuper de ses besoins primordiaux comme se nourrir ou entretenir sa maison. À l’inverse, un autre profil pourra être très peu verbal, mais s’exprimer de manière extrêmement fluide et précise par écrit. Sont-elles alors autistes ou Asperger ?

Ce que cela veut dire, c’est que les profils autistiques se caractérisent par une grande variété, c’est pour cela que la distinction autisme/Asperger a tendance à être abandonnée. Par ailleurs, d’autres facteurs entrent en jeu : des autistes HPI auront pu compenser leurs difficultés de langage grâce à leurs compétences intellectuelles, et certains auront masqué leurs comportements répétitifs au point qu’ils seront devenus inexistants. La limite entre ces deux profils est donc souvent très poreuse.

Le syndrome d’Asperger dans les médias et la pop culture

Reste que pour le grand public (et une partie de la communauté autiste), le qualificatif « Asperger » est porteur de sens. D’une part, parce qu’il est moins stigmatisant que le terme « autiste ». De l’autre, parce qu’il correspond dans l’imaginaire collectif à un profil d’autiste surperformant dans certains domaines, et peu dans d’autres.

Les exemples dans la pop culture sont nombreux : les séries The Good Doctor ou encore Atypical sont assez caractéristiques, ainsi que Astrid et Raphaëlle en France. D’autres personnages, s’ils ne sont pas qualifiés d’Asperger, sont construits avec des codifications particulièrement « autistiques » : c’est le cas de Sherlock Holmes, ou de Gregory House, dans leurs séries éponymes.

Est-ce une bonne chose ou une mauvaise ? Pour certains, cela permet de démocratiser des modes de fonctionnement différents. Pour d’autres, cela revient à dire que l’on doit forcément avoir un talent particulier pour être considéré comme Asperger ou autiste « de haut niveau ». Ce qui peut être problématique en soi.

Cela peut aussi être vu comme une invisibilisation des difficultés qui touchent certaines personnes autistes. Un autiste qui travaille, qui a des amis, qui paraît « normal » en public sera ainsi aisément qualifié d’Asperger par ses pairs… Mais il pourra quand même faire des crises lorsqu’il est seul chez lui, se retrouver épuisé quand il se sociabilise, ou présenter une anxiété très élevée. Dans ce cas, ne serait-il pas alors plus proche de la définition de l’autisme « classique » ?

Conclusion : utiliser ou non le terme « Asperger »

On le voit, les limites entre les deux profils sont floues d’un point de vue diagnostic. Mais le terme « Asperger » renvoie quand même à un imaginaire collectif, et à une conception particulière de l’autisme. Qu’en penser alors ?

Si l’on souhaite obtenir un diagnostic, c’est simple. Le terme Asperger n’est plus utilisé par les professionnels : c’est le terme « autisme » qui sera donc retenu. Mais dans la vie courante, certaines personnes autistes revendiquent l’utilisation de ce mot, qui leur paraît appropriée, et qui leur semble rassembler des profils distincts. On laissera donc à chacun le soin d’utiliser ou non ce qualificatif, en fonction de ce qui lui semble plus approprié. 

Publié par Cam

Journaliste HPI/TSA à la recherche du mot juste et d'un monde plus ouvert à la différence. Créatrice du podcast Bande d'Autistes !
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9 commentaires sur « Autiste », « Asperger »… Y a-t-il des différences et quel terme utiliser ?