Le terme « dépendance affective » peut vous sembler fort et ne pas refléter la dynamique de vos relations. Si vous vous considérez comme une personne indépendante, libre et intelligente, vous pouvez vous pensez au-dessus de ce genre de relations toxiques et dysfonctionnelles. Pourtant, la dépendance affective peut se décliner de multiples façons dans une relation. Prendre du recul pour analyser vos relations familiales, amicales et amoureuses peut vous aider à identifier des mécanismes plus complexes qu’il n’y paraît. Virginie Colas*, Psychologue, nous éclaire pour mieux comprendre ce qui se trame derrière la « dépendance affective » et comment s’en sortir. 

Comprendre la dépendance affective

Dans quels types de relation la dépendance affective peut-elle se manifester ? Est-elle forcément associée aux relations amoureuses ?

Virginie Colas : La dépendance affective est un état émotionnel dans lequel une personne éprouve le besoin excessif d’attention, de validation et d’affection d’autrui, souvent alimenté par des peurs profondes comme l’abandon ou le rejet. Les comportements et ruminations autour de la relation de la dépendance vont entraîner un cercle vicieux dans lequel les peurs, les sentiments de rejet et les souffrances vont être de plus en plus forts.

La dépendance affective peut se manifester dans les relations familiales, amicales et amoureuses. Elle ne se retrouve pas uniquement dans la relation amoureuse.
De façon générale, la personne dépendante crée des déséquilibres relationnels en étant en fusion émotionnelle avec l’autre. L’attachement est excessif. La personne est dépendante émotionnellement de la relation à l’autre et perd de vue progressivement le respect pour ses propres besoins et ses centres d’intérêts. La personne dépendante s’attache rapidement, se sent en insécurité permanente, entraînant ainsi un déséquilibre dans les attentes et l’investissement de la relation.

  • Dans la relation amicale, la personne dépendante aime entretenir une relation forte et exclusive. Elle peut rencontrer des difficultés à ce que son ami.e puisse passer du temps avec d’autres. Elle peut devenir jalouse, se mettre en colère ou avoir des crises de panique si elle sent que son ami.e n’est pas complètement disponible pour lui ou pour elle. Elle a souvent besoin d’être rassurée. Elle vit mal quand elle n’a pas de nouvelles de son ami.e.
  • Dans la relation amoureuse, les attentes sont vécues de façon identique mais souvent plus intensément (vie de couple, projets, attachement physique...). La personne dépendante craint souvent d’être abandonnée ou quittée. De ce fait, elle a tendance à contrôler les moindres faits et gestes de son compagnon ou de sa compagne.

« Les recherches montrent que les femmes rapportent une plus grande dépendance émotionnelle que les hommes, indépendamment de facteurs comme l'éducation, le revenu ou la situation familiale (H. et R. Turner (1999) Gender, social status, and emotional reliance.)

La particularité des personnes neuroatypiques

Quelles sont les particularités des personnes neuroatypiques qui peuvent les rendre plus vulnérables à la dépendance affective ?

Virginie Colas : Les personnes au profil neuroatypique peuvent être plus vulnérables à la dépendance affective pour différentes raisons :

  • Lorsque la régulation émotionnelle est difficile. Les personnes connaissent les montagnes russes en permanence : La personne est rassurée dès que l’autre est présent et en détresse si l’autre ne répond pas rapidement à ses attentes ou besoins. Il existe une certaine impulsivité et empressement à avoir des nouvelles régulièrement de l’autre pour se sentir apaisé.
  • Une recherche de sentiment de sécurité dans les relations sociales peut être régulièrement présente chez les personnes au profil atypique afin d’obtenir une certaine prévisibilité et stabilité dans la relation à l’autre qu’elles ne trouvent peut-être pas dans leur quotidien. De ce fait, elles peuvent vite investir une relation pour se sentir en sécurité.
  • Les personnes ayant vécu des expériences d’abandon et de rejet peuvent développer une sensibilité au rejet et avoir une peur profonde d’être de nouveau exclus. De ce fait, elles peuvent rechercher une relation sécure comme point de repère dans leur vie à travers une relation qui semble les accepter et les comprendre.
  • Une faible estime de soi peut également pousser les personnes à rechercher une validation extérieure excessive pour se sentir digne d’être aimé et valorisé.
  • Une tendance à l’obsession pour une personne (parfois un. e ami.e ou collègue avec le ou laquelle la personne aimerait être en couple) est un aspect assez fréquent dans la dépendance affective. Quand la personne devient émotionnellement dépendante, elle peut développer des pensées et des comportements obsessionnels. La personne peut devenir au centre de ses pensées et donc de la vie mentale de la personne dépendante. Il peut être difficile de se concentrer sur autre chose. La préoccupation mentale se tourne vers les scénarios imaginés soit dans le cadre d’une éventuelle rupture, dans une recherche de plaire davantage ou d’une attention permanente.
  • L’hyperfocalisation sur une personne peut se manifester de manière similaire à l’obsession mais avec une intensité encore plus élevée pouvant aller jusqu’à la négligence des autres aspects de votre vie (perte d’appétit, sommeil, activités professionnelles ou sociales...).

Témoignage

« Jusqu’à présent, j’ai l’impression que mes relations amicales et amoureuses m’ont laissé un grand vide affectif. Je suis hypersensible, j’ai un tdah et je vis mes émotions de manière très intense, et je crois que cela a façonné mes interactions depuis mon enfance. Je me suis souvent attachée à des personnes à qui j’étais prête à tout donner, mais en échange, je ne recevais pas le retour de mon affection. Avec le recul, je commence à comprendre que ces personnes se sentaient peut-être étouffées par mon amour et mon besoin d’être aimée. Je souhaitais tellement me sentir en harmonie avec elles et eux que je ne réalisais pas que cette envie était trop envahissante. Plus j’étais déçue et plus je voulais me sentir rassurée et enfin trouver les personnes qui allaient me comprendre et m’accepter. Mais finalement, sans m’en rendre compte, je devenais dépendante de leur regard et de leur attention. Il m’a fallu beaucoup de temps pour réaliser que le problème ne venait pas des autres. Pour me sortir de cette spirale, j’ai décidé de consulter un psychologue. Il m’aide progressivement à ouvrir les yeux sur mes dysfonctionnements. Il m’aide à comprendre que mes attentes étaient démesurées et pesantes pour ceux que j’aimais. J’essaye de ne plus imposer mes besoins aux autres et je cherche aussi à comprendre et respecter les leurs. J’entreprends un long chemin de guérison avec moi-même pour apprendre à m’aimer et trouver suffisamment de ressources et de forces en moi. »

Sophie, 42 ans

Sortir de la dépendance affective

Comment identifier si je suis dans une relation de dépendance affective, en tant que dépendant ou dans l’autre rôle ?

Virginie Colas : Développer la pleine conscience de vos relations en essayant d’observer vos attitudes ou vos pensées par un jeu de questions/réponses est un bon moyen pour identifier si l’on se trouve dans une relation de dépendance. Par exemple :

  • La relation vous semble-t-elle équilibrée et saine ?
  • Ressentez-vous une peur excessive d’abandon en pensant à cette relation ?
  • Ressentez-vous de la jalousie excessive ?
  • Avez-vous un besoin constant d’être rassuré.e par cette personne ?
  • Mettez-vous en place des comportements pour vérifier si vous existez toujours autant pour l’autre ?
  • Renoncez-vous à vos activités ou autre relation pour être avec l’autre ?
  • Rencontrez-vous des difficultés à séparer vos émotions de celle de l’autre ?
  • Etes-vous anxieux.se lorsque vous n’avez pas de nouvelles de l’autre ?
  • Ressentez-vous un vide quand vous n’avez pas de nouvelles de l’autre ?

Être conscient de ce que vous ressentez dans chaque interaction est essentiel. Cela amènera à mieux identifier ce qui se joue dans la relation à l’autre et vous permettra de définir ou redéfinir votre vision de l’amour ou de l’amitié. Dans chaque relation, vous devez pouvoir trouver :

  • Une réciprocité et non un sacrifice de soi
  • Un sentiment de liberté de chacun et non une fusion
  • Un respect des espaces individuels et des besoins de chacun
  • Une confiance mutuelle et non un contrôle

Les personnes en dépendance affective ont souvent l’impression de perdre le contrôle sur leurs relations. Or, il est essentiel de reconnaître qu’elles ont au contraire le contrôle sur leurs émotions et leurs attitudes en apprenant à se centrer sur leurs besoins et valeurs. Tout est encore possible pour se libérer de cette dépendance !

Sur le sujet

Un film :  

« Les amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, raconte l’histoire de deux amis, Francis et Marie, qui tombent amoureux du même homme. Le film explore les dynamiques complexes et obsessionnelles de l'amour non réciproque et la dépendance émotionnelle qu'il peut engendrer.

Un roman :

« Une vie » de Guy de Maupassant, raconte la vie de Jeanne, une jeune femme pleine d'idéaux romantiques, qui tombe amoureuse de Julien, un homme égoïste et manipulateur. Leur mariage devient rapidement une prison émotionnelle pour Jeanne, et le roman explore la manière dont sa dépendance émotionnelle la maintient dans cette relation destructrice.

Quelles sont les premières clés pour m’en sortir. Et les suivantes ?

Virginie Colas : Se sortir d’une dépendance affective est un processus qui prend du temps et comprend différentes étapes.

La première clef est de reconnaître que ce qui est mis en place et ce qui se joue, est une dépendance. Cela renvoie généralement à un sentiment d’incapacité à être heureux sans l’autre. La personne a le sentiment de ne pas exister sans le regard et la présence de l’autre. Elle recherche un fort besoin d’approbation, ressent une grande peur du rejet, de l’abandon ou un sentiment de ne pas être aimée et un certain vide quand l’autre n’est pas présent.

Ensuite il est important de favoriser une bonne estime de vous-même. C’est-à-dire apprendre à se valoriser en dehors du regard de l’autre. C’est par exemple :

  • Reconnaître vos qualités
  • Faire des activités qui vous rendent fiers de vous (sport, projet...) et qui sont en lien avec vos valeurs
  • Travailler sur vos cognitions (pensées, et croyances) automatiques pour aller vers des pensées alternatives : « je ne suis rien sans lui ou sans elle »/ « je connais mes valeurs, je peux me réaliser dans des activités en lien avec ce qui compte pour moi et qui ont du sens dans ma vie »
  • Favoriser une bonne régulation émotionnelle en cultivant l’autonomie émotionnelle
  • Pratiquer la cohérence cardiaque et la méditation
  • Développer différentes relations sociales pour ne pas « tout » miser sur une seule relation
  • Apprenez à diversifier vos ressources de soutien émotionnel en élargissant votre cercle relationnel de connaissances, copains et amis

Comprendre vos besoins permettra de ne pas attendre de l’autre qu’il les comble. Ce n’est pas son rôle dans une relation saine. Pour cela apprenez à :

  • Explorer vos talents et vos passions
  • Rester curieux et développer de nouvelles activités
  • Marcher, respirer, écouter la nature de la musique peuvent permettre de couper des ruminations
  • Passer du temps seul.e (lecture, marche, voyage ou exposition ou cinéma...) pour accepter votre propre compagnie et le calme
  • Cultiver des relations équilibrées et saines
  • Communiquer en posant des limites. Affirmez-vous. Apprenez à vous respecter sans peur ni culpabilité, apprenez à dire non. Vous aurez aussi plus de facilité à accepter le « non » de l’autre si vous-même vous apprenez à le dire.
  • Exprimer vos besoins clairement sans craindre de perdre l’autre
  • Rester en accord avec vos valeurs

Sortir de la dépendance affective peut prendre du temps. C’est un processus progressif de libération qui passe par un travail sur soi. Il est possible de s’en libérer.

Vous pouvez être heureux même si vous êtes séparé.e physiquement ou émotionnellement de l’autre pendant un certain temps. Acceptez l’autre comme un être indépendant qui a lui- même ses propres besoins. Ce n’est pas un être à contrôler.

Une aide extérieure est parfois nécessaire afin de travailler sur ses peurs, son estime de soi et ses schémas cognitifs. Se faire accompagner et aider peut être bénéfique. Les Thérapie TCC et Thérapie ACT permettent d’apprendre à mieux se connaitre, réguler ses émotions, développer les habiletés sociales et réduire la dépendance affective. Ces thérapies proposent des outils concrets pour apprendre à faire face à cette obsession du contrôle.

* Virginie Colas est psychologue depuis plus de 20 ans et formée aux Thérapies Cognitives et Comportementales et à la Thérapie ACT (Thérapie d’Acceptation et d’Engagement). Elle anime régulièrement des ateliers sur la confiance en soi et la régulation émotionnelle à destination des enfants/ados et adultes. Elle est également auteure de « Je suis haut potentiel et je vais bien » sorti en 2020 chez Enrick.B Editions.

Publié par Delphine

Delphine est la cofondatrice du réseau social de rencontre Atypikoo et l'auteure du livre "Dating Authentique". Depuis plusieurs années, Delphine explore, à travers ses écrits, les spécificités des personnes neurodivergentes et leurs interactions amoureuses.
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4 commentaires sur Dépendance affective : quand l'amour devient un besoin