Le surdoué, par nature en décalage avec la majorité, est forcément enclin à un syndrome de l’imposteur. Mais le décalage n’est pas la seule raison à cette fichue inclinaison, il faut aussi prendre en compte que les caractéristiques du tempérament du haut-potentiel favorisent presque toutes ce syndrome : l’hypersensiblilité, la pensée surabondante, l’idéalisme, le perfectionnisme, le besoin de trouver du sens, le souci de justice… Le tout mène au questionnement permanent, et donc à se (re)mettre systématiquement en cause par rapport à l’environnement et l’entourage.
Nos perceptions physiques, et nos pensées, suraiguisées nous entraînent vers des tas de considérations qui favorisent la diversité, la multiplicité des points de vue, ce qui rend compliqué de tenir une position avec conviction. L’assurance que l’on peut percevoir chez d’autres nous fait alors nous autodéprécier. On pense que ces personnes ont les mêmes questionnements que nous, mais qu’elles ont réussi à les résoudre, on est alors impressionné et on se sent honteux d’être encore en proie à tant de méandres qui ne semblent que se multiplier au fur et à mesure de notre progression. On a tendance même à interpréter tout comportement de l’autre comme un signe de supériorité à soi. Lorsque j’étais adolescent, je n’imaginais pas que mes camarades puissent ne pas toutes et tous avoir les mêmes questionnements sophistiqués que moi, je pensais qu’ils les résolvaient simplement beaucoup plus vite et que s’ils feignaient un raisonnement grossier ce n’était qu’une ruse pour me narguer ou pour se donner un genre.
Le HP reçoit tellement de données, venant du monde extérieur comme de son monde intérieur, que l’analyse de celles-ci lui rend difficile la reconnaissance de sa place. On se perd dans une conscience trop vaste et impersonnelle dans laquelle notre rôle et notre légitimité se diluent.
Comme le souligne Carlos Tinoco, une fois passée la quête frénétique de sens et de logique de nos jeunes années qui n’a en général pu aboutir, l’hébétude face au monde est une des caractéristiques majeures du surdoué. On cherche du sens à tout, et comme on en trouve difficilement tout nous semble aisément absurde. C’est là que le sentiment d’imposture bien souvent prend racine, en effet comment peut-on prétendre à quelque légitimité lorsqu’on a l’impression que tout repose sur des faux-semblants, des conventions creuses, et donc de l’absurdité ? Si on pense que tout n’est que décor, comment prendre les choses au sérieux et jouer le jeu avec conviction ? On risque facilement de se faire écraser par quelqu’un qui ne remet en question ni lui ni le monde dans lequel il évolue. L’empathie du HP, qui nous conduit à faire plaisir à l’autre et à déserter rapidement tout objectif personnel, peut être aussi un facteur aggravant qui nuit à la reconnaissance de notre juste valeur, tout comme l’est notre perfectionnisme. Habitué aux extrêmes, on est prompt à se déconsidérer totalement juste parce que l’on ne s’est pas montré digne de l’idéalisme perfectionniste auquel on tendait. Avec le surdoué, c’est souvent tout ou rien ! Éternellement insatisfait et très exigeant avec lui-même, il a du mal à lâcher le contrôle sur une situation et accepter le fluctuant, le relatif et la demi-mesure.
Le regard extérieur peut être un poids nous encourageant sur la mauvaise pente. Avec ce multi-intérêt qui est le nôtre, cette multipotentialité, ces compétences multiples, on est souvent très mal accueilli par des individus plus spécialisés dans un domaine qui nous renvoient l’image d’être imposteur dans ce que nous faisons. Nous sommes à leurs yeux un être papillonnant et instable, donc illégitime. Même si nos caractéristiques hyperempathiques nous rendent la chose difficile, il faut travailler à prendre de la distance avec le jugement des autres, il faut comprendre qu’ils réagissent avec leur vécu, leurs connaissances, et souvent leurs peurs. Leur vision est à prendre en la relativisant, en la contextualisant, et en prenant conscience qu’elle peut évoluer.
Chercher toujours des réponses, décortiquer, perpétuellement se remettre en question, chercher toujours à comprendre le pourquoi du comment, et traquer les injustices, tout cela nous pousse à ne jamais être sûrs de ce que l’on pense et de ce que l’on sait. Ne pouvant être autrement qu’honnêtes avec nous-mêmes, nous nous sentons bancals, et donc imposteurs lorsqu’on se présente, ou qu’on est présenté, comme ci ou comme ça. On est mal à l’aise avec l’apparence, avec les titres, avec l’image, cela ne nous parle pas et nous semble illégitime, voire faux, puisque tout cela n’est qu’une surface lisse qui ne reflète pas toutes nos agitations, nos errances, et nos questionnements intérieurs. Celui qui est intelligent doute. Plus on apprend, creuse et réfléchit, plus on sait qu’on ne sait pas grand-chose. « Je ne sais rien ! », comme dit à ses élèves et à ses collègues le professeur du livre Le petit sauvage d’Alexandre Jardin (personnage interprété par Jean-Hugues Anglade dans Le prof, la version cinématographique de cette œuvre, adaptée au septième art par Alexandre lui-même avec la phrase « Je ne sais rien ! » barrant l’affiche - Alexandre Jardin, celui qui a lancé initialement, en 1989, le terme zèbre, pour décrire les hors cadre, les multicolores, les atypiques, les coopérants plutôt que concurrents, cela avant que Jeanne Siaud-Facchin ne l’applique plus particulièrement aux surdoués une quinzaine d’années plus tard).
La clef de cette problématique du syndrome de l’imposteur est la confiance. La confiance permet l’accueil de soi et de ce qui est. Quand on est dans l’accueil, on ne se compare pas, on s’offre, on laisse la place à la vraie rencontre, on s’ouvre à l’inconnu, on se détache des causes et des conséquences pour vivre l’instant de la façon dont il se présente. Personnellement, je suis revenu de loin, j’ai connu le burn-out à l’adolescence, j’ai frisé la folie, je m’autoassaillais de tonnes de questionnements à chaque seconde… Au moment où j’étais proche de la rupture, il y a eu comme une soupape de sécurité qui s’est enclenchée et le vide s’est fait en moi (un vide que je sais depuis consciemment reproduire lorsque nécessaire). « Fous-toi la paix !», comme l’écrit et le chante l’artiste zébré Yor Pfeiffer, c’est ce qu’il faudrait s’intimer intérieurement lorsqu’on sent que notre esprit joue contre nous. Le HP a trop tendance à se comporter comme un tyran harceleur avec lui-même, il faut se laisser respirer, se laisser reposer, se traiter avec délicatesse, s’aimer avec toutes ses imperfections. Toutes ces choses que l’on sait faire en général naturellement avec les autres, il faut les appliquer en premier lieu à soi. Et si les êtres terrestres que nous sommes ne peuvent incarner les aspirations illimitées de nos cerveaux boulimiques, ils n’en sont pour autant point méprisables. Regardons-nous avec bienveillance, notre cerveau est en quelque sorte le tuteur de cet être que nous sommes. On ne sera jamais parfait, mais c’est ça qui fait notre beauté, notre charme, notre valeur incomparable. Nos imperfections et spécificités font qu’à défaut de perfection on peut toucher quelque chose de beaucoup plus précieux et transcendant, le sublime, lequel se dessine là où on ne l’attend pas. Le surdoué peut d’autant se faire confiance qu’il analyse tout très vite sans avoir à y penser et qu’une de ses caractéristiques fondamentales est la vue d’ensemble, ce qui nous vient intuitivement est donc très souvent juste, nul besoin de décortiquer à tout va.
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