C’est une idée qu’on entend souvent, à grands coups de titres sensationnalistes. Les atypiques, haut potentiel (HPI), autistes, seraient des proies faciles pour les « pervers narcissiques » et autres personnes malveillantes. Ce cliché se base-t-il sur une réalité ? Sommes-nous plus confiants, et donc plus naïfs ? On se penche sur cette épineuse question.

Les personnes atypiques sont-elles des proies faciles ?

Le cliché des personnes atypiques qui seraient des proies faciles

On entend souvent que les personnes atypiques seraient des victimes toutes trouvées pour ceux qui seraient prêts à profiter de leur naïveté. Ce cliché repose sur plusieurs vérités… Et quelques mythes.

Relation toxique, entourage malveillant : le lot des hypersensibles ?

Les personnes neuroatypiques sont souvent hypersensibles émotionnellement. Elles sont secouées par des émotions très fortes. Elles peuvent se retrouver dans les relations où la moindre dispute leur paraît être un Everest insurmontable. Cela ne veut bien sûr pas dire que leurs émotions ne sont pas justifiées, mais qu’elles débordent souvent.

À cela s’ajoute un sentiment de décalage constant des personnes neuroatypiques, qui ont souvent des entourages qui critiquent (indirectement ou non) leur différence. Cela peut créer des environnements familiaux, amicaux ou amoureux néfastes, parfois sans que l’on s’en rende compte.

De là à qualifier la personne en face de toxique, il y a cependant un pas, qu’on ne franchira pas toujours. Il faut en effet bien distinguer une situation toxique d’une personne toxique. Le mot est à la mode, et il est parfois employé de manière imprudente.

Le « pervers narcissique » : un mythe ?

Il en va de même pour le concept du « pervers narcissique », qui a été popularisé ces dernières années, mais qui reste très critiqué. Cette figure du manipulateur, pervers dans sa malhonnêteté et son besoin de contrôle de l’autre, est presque devenue un adjectif à part entière.

Pour autant, on rappelle que le concept n’a jamais fait l’objet d’une validation scientifique, et n’est pas reconnue par la psychiatrie. Ce profil, qui se distingue par un besoin d’attention constant et un manque d’empathie émotionnelle, reste relativement vague. Les comportements soi-disant typiques du pervers narcissique sont souvent conformes à d’autres profils psychiatriques dont l’historique est plus solidement établi, comme le trouble de la personnalité narcissique, ou encore la paranoïa.

À ce sujet, la psychologue Emilie Seguin publiait dès 2014 un avertissement quant à l’utilisation de ce terme sans précaution :

« Le recours rapide et abusif par les médias et les psychothérapeutes à un diagnostic lourd et sujet à controverse pose des questions éthiques. Un psychothérapeute posant avec aplomb un diagnostic de pervers narcissique sur un individu, certes nuisible pour son patient mais qui n’est pas évalué cliniquement au sein du cabinet, soulève une question déontologique. »

On rappellera par ailleurs que la France est le seul pays à faire usage de cette description, qui n’est pas utilisée dans le milieu psychologique et psychiatrique international. C’est donc un terme à prendre avec des pincettes.

Atypiques versus personnes toxiques

Reste que la popularisation de ces termes – pervers narcissique (PN), personne toxique… – a bel et bien trouvé un ancrage sur les forums et dans les discussions des personnes neuroatypiques. Cela s’explique partiellement par des parcours de vie souvent complexes, avec les difficultés qui leur sont liées.

Mais aussi par une certaine facilité ? C’est l’idée de Madame Séguin, qui voit là un triomphe des qualificatifs hâtifs, au-delà de vraies analyses :

« Le pervers narcissique ne serait-il pas une forme de bouc émissaire moderne au sein d’une société qui connaît une amplification de la souffrance au travail et un taux croissant de séparations au sein des couples ? L’existence du pervers narcissique est une réponse rassurante pour un individu qui a mal et qui lutte pour sortir d’une relation complexe et destructrice. »

Il faut donc être particulièrement conscient de ces enjeux… Tout en reconnaissant que les profils particuliers des personnes atypiques peuvent effectivement parfois impacter leurs relations, et créer des difficultés interpersonnelles.

La naïveté, une caractéristique courante chez les personnes atypiques ?

Les personnes neuroatypiques ont souvent des perceptions des émotions et situations qui diffèrent de la norme. Certaines ont parfois du mal à saisir les intentions des personnes. Tout cela peut donc créer un cocktail qui peut les exposer à des situations problématiques.

Chez les autistes, des difficultés à décoder les intentions

On caractérise souvent les autistes comme manquant d’empathie. Il s’agit cependant d’un abus de langage. Les personnes autistes sont touchées par les injustices et la souffrance – parfois plus que des personnes neurotypiques ! Leur empathie émotionnelle est donc bien présente. Elles peuvent cependant avoir des difficultés en ce qui concerne l’empathie cognitive.

Pour faire simple, c’est la capacité à comprendre les intentions d’une personne. Par exemple, une personne autiste à qui l’on demandera l’heure dans la rue ne verra pas nécessairement que son interlocuteur cherche à la séduire, plutôt qu’à savoir l’heure. Dans la vie courante, cela peut créer des quiproquos amusants, mais si l’on est face à une personne malveillante, cela peut créer des problèmes plus graves.

Cette tendance est malheureusement confirmée par des statistiques. Selon une étude de 2022, les personnes autistes rapportaient avoir été victimes de violences de manière bien plus courante que la population neurotypique. À titre d’exemple, près de 60 % des personnes autistes rapportaient des violences sexuelles connues à l’âge adulte, contre 28 % pour les personnes neurotypiques.

L’idée que les autistes sont plus vulnérables aux personnes mal intentionnées semble donc basée sur une réalité, comme le conclut l’étude :

« Les conclusions de cette étude fournissent de nouvelles preuves de l’ampleur de l’exposition à la violence pour les personnes autistes, qui a lieu même à l’âge adulte. Les femmes autistes, ainsi que les autistes transgenres ou ne se conformant pas aux normes de genre (gender nonconforming) semblent présenter le plus de risques. »

La bonté supposée du HPI

Qu’en est-il pour les HPI ? En ce qui concerne les personnes à haut potentiel intellectuel, on fait aussi souvent des raccourcis. Sur les forums et dans les magazines populaires, on présente souvent ce profil de manière idéaliste. Les HPI seraient tous de grands rêveurs innocents, incapables de faire du mal à une mouche.

Si le profil HPI se caractérise bien sûr souvent par une grande sensibilité, cela ne veut pas dire que cela dispense ce profil d’être malveillant, ou manipulateur. On peut nuire aux autres quel que soit son score de QI.

L’idée des HPI qui seraient tous de doux agneaux a été notamment popularisée par Jeanne Siaud Facchin dans l’ouvrage Trop intelligent pour être heureux :

« Les adultes surdoués partagent une caractéristique tout à fait étonnante et pourtant bien cachée : une part infantile encore très présente. Prête à s’activer à la plus petite sollicitation. Tapie au fond de la “grande personne”, mais tellement vivante. La part infantile est ce qui reste de la magie de l’enfance : le rêve, la créativité, la certitude que tout est possible. La capacité à s’émerveiller, surtout. La capacité à être submergé par une joie profonde. Pour un petit rien. »

C’est une approche qui peut être problématique. Pourquoi qualifier la capacité d’émerveillement d’ « enfantine » ? Ne serait-ce pas justement infantilisant de considérer que l’émerveillement des personnes HPI fait d’eux de grands enfants ?

Certes, les personnes à haut potentiel intellectuel peuvent être très sensibles à la souffrance d’autrui, voire avoir une certaine naïveté dans leur approche des autres, mais dire que ceux-ci sont des victimes toutes faites pour les personnes malveillantes ne semble pas être une réalité en soi.

Les profils TDA/H : des difficultés pour anticiper les conséquences ?

Les profils TDA/H ne sont pas particulièrement réputés pour être naïfs, et il ne s’agit pas d’un trait communément appliqué aux personnes concernées. On note cependant qu’une autre caractéristique peut parfois leur jouer des tours : l’impulsivité.

Les profils TDA/H recherchent souvent la stimulation, l’excitation, et prennent des décisions en apparence soudaine. Cela peut les conduire à se mettre en danger : conduite à risque, abus de substance, recherche d’adrénaline… Autant de tendances qui sont relativement courantes pour les personnes concernées par un TDA/H.

Cela peut aussi impliquer une tendance à suivre des personnes, ou à tisser des relations qui ne sont pas bonnes pour eux. L’impulsivité en amour ou en amitié peut en effet les conduire à des relations stimulantes, mais néfastes. De la même manière, leurs difficultés éventuelles à anticiper des conséquences peuvent les mettre dans des situations dangereuses. Pour autant, on ne peut pas affirmer qu’un profil TDA/H soit une proie pour les personnes néfastes.

Conclusion

Les personnes neuroatypiques ne sont pas des victimes potentielles prêtes à tomber dans les griffes de pervers narcissiques tapis dans l’ombre. Cependant, les personnes autistes et TDA/H peuvent parfois prendre des risques et subir une mise en danger.

C’est cependant un problème qui a trait aux fonctionnements individuels, et il serait illusoire de vouloir créer une règle générale pour l’ensemble des personnes neuroatypiques. On notera aussi qu’il faut faire attention à ne pas transférer l’intégralité de la responsabilité d’une relation sur une personne – aussi toxique soit-elle.

Enfin, on rappellera qu’il s’agit d’une représentation courante des personnes neuroatypiques. Les autistes et TDA/H sont souvent présentés comme des créatures un peu fragiles qu’il faut protéger. C’est d’une part nier la capacité de défense (et la maturité) des personnes concernées, et cela les empêche de s’exprimer eux-mêmes sur ces problématiques.

Il ne s’agit donc pas de minimiser les problèmes rencontrés par les personnes neuroatypiques, mais bien de leur accorder le contrôle et la manière dont ils surmontent des difficultés éventuelles.

Publié par Marine

Journaliste HPI/TSA à la recherche du mot juste et d'un monde plus ouvert à la différence. Créatrice du podcast Bande d'Autistes !
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