En France, l’orthographe est un enjeu pour nombre d’entre nous. On y voit souvent un signe d’intelligence, ou encore de rigueur. Pourquoi l’Hexagone est-il si obsédé par l’orthographe, et ne gagnerions-nous pas à lâcher un peu de lest ? C’est le thème qu’on va explorer dans cet article, pour montrer que les capacités à s’exprimer et l’orthographe sont bien deux concepts séparés.

orthographe

L’orthographe, une obsession à la française ?

Ce que l’on peut déjà rappeler, c’est que le français est une langue très compliquée. Avoir une orthographe parfaite est considéré comme une gageure, au point que de nombreux concours et autres dictées sont souvent partagés pour tester ses compétences.

Le système des temps est complexe, les accords difficiles à retenir, et les exceptions tellement nombreuses qu’elles paraissent presque être la norme. Pour ceux qui ne parlent pas déjà une langue romane, l’apprentissage du français peut donc être un vrai casse-tête.

Les Français (et les habitants d’autres pays francophones) conviennent souvent que leur langue est particulièrement difficile à maîtriser… Mais ils considèrent quand même la maîtrise de la langue comme importante… Voire très importante : en juin dernier une enquête de l’IFOP montrait que 93 % d’entre nous sont sensibles aux fautes quand nous écrivons, et 88 % quand nous lisons.

Pourtant, nous sommes moins bons que ce que nous pensons. Selon la même enquête, 85 % des Français estiment avoir un niveau « bon ou très bon » en orthographe. Mais dans les faits, seuls 58 % d’entre eux obtiennent la note de 12/20 ou plus lors d’une dictée simple.

La faute à l’école ?

L’orthographe est encore considérée comme un pilier majeur dans le secteur de l’éducation. Au point que certains voient la baisse des compétences générales en orthographe comme un signe de dégénérescence civilisationnelle. Mais il faut dire que la France est particulièrement obsédée par son orthographe.

En 2015, la ministre de l’Éducation alors en place appelait à plus d’exercices dans le parcours scolaire, pour améliorer l’orthographe des petits Français. Elle invitait ainsi les professeurs à faire une dictée par jour en classe… Mais sans se pencher sur l’efficacité de l’exercice.

Des études nombreuses montrent pourtant que les dictées ne servent pas à grand-chose quand il s’agit d’améliorer son orthographe. Un point souligné par plusieurs enseignants, qui avaient fait part de leurs doutes dans un article du Monde paru il y a quelques années :

« Cela fait plus de trente ans déjà que la dictée est reconnue comme un bon moyen de contrôler l’orthographe et non de l’enseigner. »

Ce qui fonctionne par contre, c’est la lecture. Un lien net est souvent fait entre ceux qui lisent beaucoup, et ceux qui ont une bonne orthographe. C’est donc en favorisant plus de lecture que l’on favorisera aussi plus de maîtrise de la langue… Dans certains cas.

Au-delà de l’efficacité des méthodes, on peut se demander pourquoi nous tenons autant à l’orthographe. Si, comme nous allons le voir, une bonne orthographe n’est pas un signe d’intelligence, et si enchaîner les dictées ne sert à pas grand-chose dans l’apprentissage, pourquoi est-on alors autant obsédés par l’orthographe ?

D’où certains appels à mettre à jour l’orthographe en France, et à laisser derrière des héritages du passé. En octobre dernier, une tribune du Monde, signée par des linguistes, enseignants, universitaires et personnalités de la culture, invitait ainsi à une évolution des règles de l’orthographe.

Les signataires jugeaient en effet qu’il était désormais absurde d’écrire avec une orthographe si datée :

« Sommes-nous forcés d’écrire à la plume, de lire à la bougie ? Et pourtant, partout, on nous impose de lire et d’écrire avec une orthographe de 1878, oui, 1878. »

Les rectifications orthographiques de 1990 ne sont en effet que des recommandations. Et en tant que telles, elles n’ont pas vraiment été adoptées. D’où une invitation à préserver la langue… En faisant évoluer les pratiques :

« Réformer l’orthographe ne veut pas dire réformer la langue. On peut être bon en français, par la richesse de son vocabulaire, sa créativité et son argumentation, et mauvais en orthographe. Et c’est de plus en plus le cas aujourd’hui. »

Et c’est là où le bât blesse. Pour beaucoup, quand on fait des fautes, on ne sait pas écrire. Mais la capacité à s’exprimer de manière juste va bien au-delà de la capacité à se souvenir si l’on met un « s » au pluriel.

Mauvaise orthographe : des conséquences dans la vie quotidienne

Au-delà de notre perception – légitime ou non – de l’importance de l’orthographe, une mauvaise maîtrise peut avoir des effets bien réels sur notre vie quotidienne. Un rapport de TextMaster, paru au mois de septembre dernier, montre les conséquences parfois sous-estimées des difficultés en orthographe.

« Selon une enquête menée par l’IFOP, plus de 84 % des Français estiment que les fautes d’orthographe nuisent à l’image de l’entreprise. »

Et cela va plus loin que cela : une autre étude de la CCI Paris Île-de-France montre que jusqu’à un tiers des recruteurs admettent être influencés par les fautes d’orthographe sur les candidatures. C’est-à-dire qu’ils considéreront un texte présentant des fautes comme moins sérieux, et auront tendance à saluer la « rigueur » perçue d’une lettre de candidature sans faute.

C’est aussi le cas au-delà de la vie professionnelle. Sur les sites de rencontre, l’orthographe d’une personne peut être jugée tout aussi durement. L’enquête de l’IFOP citée plus haut montrait ainsi que 40 % des Français estimaient que les fautes d’orthographes étaient un tue-l’amour. À l’heure où les rencontres amoureuses se font beaucoup par écrit, c’est un chiffre particulièrement marquant.

Dans un monde qui repose désormais largement sur les réseaux, l’usage de l’écrit est omniprésent, que cela soit sur les sites des impôts, pour prendre rendez-vous avec un professionnel de santé, ou encore pour échanger sur ses passions. Il ne faut donc pas sous-estimer l’impact de l’orthographe sur les capacités d’une personne à nouer des liens et à faire valoir ses droits.

Orthographe, culture et intelligence

Les gens intelligents savent bien écrire. C’est l’idée reçue qui circule encore trop souvent quand il s’agit d’orthographe. C’est l’occasion de rappeler que l’intelligence (c’est-à-dire la capacité à résoudre des problématiques et à s’adapter de manière fluide à son environnement), se distingue de la culture (c’est-à-dire nos connaissances).

Tout comme le calcul, ou l’art de faire ses lacets, l’orthographe s’apprend. Et là aussi, tout le monde n’est pas égal. Certains profils parviendront à l’acquérir en s’en imprégnant par les lectures qu’ils font, ou à force d’écrire. Pour d’autres, cela sera un chemin plus long, et chaque règle devra être décortiquée avant d’être assimilée.

Ou, pour dire les choses plus simplement, on peut très bien être HPI et avoir une orthographe catastrophique. De la même manière qu’une personne peut « recracher » une orthographe impeccable, sans nécessairement la comprendre. C’est la raison pour laquelle dans les tests de quotient intellectuel (QI), c’est la capacité langagière générale qui est prise en compte, et pas notre manière d’écrire.

N’oublions pas les « dys » et les personnes neuroatypiques !

Ces différences existent donc déjà dans la population « générale ». Et si l’on se penche sur le cas des personnes neuroatypiques – en particulier les « dys » – cela se complique d’autant plus. On le rappelle, la dysorthographie ou la dyslexie, qui influencent le langage écrit, ne sont ni des maladies, ni un manque de compétences intellectuelles. Elles peuvent donc être particulièrement difficiles à porter dans un monde qui équivaut encore trop souvent l’orthographe à l’intelligence.

Les difficultés existent aussi chez d’autres profils de neuroatypies. Les personnes présentant un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), peuvent avoir des difficultés de concentration qui empêchent une bonne acquisition ou retranscription des compétences en orthographe.

Chez les personnes autistes, les difficultés scolaires peuvent être courantes, ce qui amène parfois des difficultés en termes d’orthographe. Lorsqu’on est déscolarisé, ou peu scolarisé, on n’acquiert pas les mêmes habitudes que ses camarades en termes d’écrit. Pour les personnes neuroatypiques, l’orthographe est donc souvent un enjeu de taille.

Le diktat de l’orthographe : une forme de validisme ?

L’on peut donc se poser une question. Le diktat de l’orthographe ne serait-il pas, au fond, une forme de validisme ? Pour rappel, le validisme, c’est un système qui fait que les personnes valides sont considérées comme faisant la norme sociale. De la même manière qu’une personne noire, homosexuelle, transgenre, etc. n’est pas considérée dans la « norme », les personnes différentes en termes d’aptitudes sont elles aussi considérées comme à l’écart de la majorité.

Cela compte, car les profils neuroatypiques sont déjà souvent victimes de validisme, à cause de leurs difficultés et handicaps éventuels. Une personne « dys », qui ne parvient pas à écrire sans faute aura ainsi moins d’opportunités professionnelles, malgré ses compétences.

À cela s’ajoute une forme de classisme. On l’oublie en effet parfois, mais l’accès à l’éducation, et à un enseignement de qualité, est un enjeu économique. Cela est d’ailleurs prouvé par de nombreuses études. En ce qui concerne l’orthographe en particulier, les chiffres parlent d’eux-mêmes : une étude du Figaro faisait ainsi un lien net entre classe sociale et orthographe :

« 75% des cadres présentent une maîtrise convenable de l’orthographe, mais seulement 26% des ouvriers. Le respect et la maîtrise des règles d’orthographe apparaît ainsi comme un marqueur de distinction sociale. D’ailleurs, de plus en plus de Français sont sensibles à cet aspect de la langue, et considèrent que l’orthographe crée des inégalités. » 

Validisme et classisme, l’idée est la même : nous n’avons pas tous les mêmes capacités, et nous ne naissons pas tous dans les mêmes environnements économiques et sociaux. Il est donc logique que l’accès à une « bonne » orthographe soit aussi inégal.

Conclusion : et si on lâchait un peu de lest ?

Que conclure de tout cela ? Tout d’abord que l’idée courante qui équivaut l’intelligence à la maîtrise de l’orthographe est fausse. Mais aussi que la volonté ne suffit pas, et que nous sommes influencés par des facteurs très divers.

Il semble donc important de se déculpabiliser face à une mauvaise orthographe, qui n’est en général pas un signe de déficience ou de désintérêt. Il faut aussi rappeler, encore et toujours, que savoir écrire, ça n’est pas uniquement savoir conjuguer ou accorder. Certains auteurs connus, aux textes initiaux truffés de fautes, en sont la preuve.

Si l’on souhaite cependant améliorer son orthographe, il existe des moyens de le faire – un peu plus sympathiques que des dictées. La lecture peut être un outil efficace. Et pour ceux d’entre nous qui sont concernés par des « dys », le recours à des professionnels comme des orthophonistes est un bon premier pas. En attendant, lâchons un peu du lest, et osons écrire, même avec des fautes…

Publié par Cam

Journaliste HPI/TSA à la recherche du mot juste et d'un monde plus ouvert à la différence. Créatrice du podcast Bande d'Autistes !
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18 commentaires sur Orthographe et fautes à l’écrit : et si on lâchait un peu de lest ?