Article écrit par Kelly Savidan, Psychologue : https://www.atypikoo.com/pro/kelly-savidan/
La comparaison sociale... ce phénomène si influent qui nous amène à focaliser une grande partie de notre attention sur l’Autre dans le but de quantifier notre valeur. Je procrastine depuis un mois pour l'écriture de cet article. J'ose le dire car la plupart de mes patients me confient leur sentiment de honte lorsqu'ils sont confrontés à la procrastination. Si les mots se font attendre c'est qu'il y a une bonne raison à cela. Non, procrastiner ne signifie pas être une personne fainéante, qui manque de motivation. Si vous reportez une tâche, une mission, surtout s’il existe un petit enjeu personnel dans cette situation, alors il est probable que vous ayez juste besoin d’un temps supplémentaire pour traiter des éléments, en toile de fond. Préparer l'article sans même en avoir conscience par exemple, ou penser à des phrases clés que je pourrais glisser dans mon texte alors que je suis en train de faire mes courses, imaginer le lien entre deux thématiques, dépasser certaines appréhensions ou la peur du jugement sur mon texte, etc.
Je suis dans un avion au moment où j’écris ces lignes, c’est l'occasion idéale pour rédiger cet article, je me sens prête. Juste avant, je suis passée au point relay de l’aéroport. Coïncidence ou non, je suis tombée nez à nez avec le nouveau magazine « cerveau et psycho » dont l'article principal en gros titre disait : "Jusqu'où se comparer ? Comment s'évaluer sans (trop) en souffrir ? ».
La première chose qui me vient en tête ce sont ces interrogations : « Est ce une bonne idée de lire ce magazine avant d’écrire l’article Atypikoo? Et si leur dossier était meilleur que le mien ? Si notre avis diverge, que penseront les lecteurs ? Ce magazine a quand même une grande renommée et je sais qu’ils se basent principalement sur des études scientifiques en s’appuyant sur des données chiffrées. Penseront-ils alors que je suis un imposteur ? ».
Ces questions sont courantes, elles démontrent notre habitude à nous comparer, à nous juger, à nous faire confiance, à oser faire ou ne pas faire les choses. La comparaison sociale est souvent à la base des relations humaines. Comment savoir je suis à la hauteur sans me comparer, ni me référer à une tierce personne ? Et comment savoir si j’ai envie de connaître davantage cette personne alors qu’au premier abord nous n’avons pas grand chose en commun toutes les deux?
Vivre en étant 100% détaché du regard des autres, je pense sincèrement que c'est une utopie, un but inutile et impossible a atteindre. Tout simplement parce que la comparaison est partout. S'il y a un bien un point commun à tous les patients que je reçois au cabinet, à toutes ces personnes uniques qui viennent s'asseoir dans le fauteuil en face de moi de manière régulière, c'est le fait de souffrir d'un sentiment d'infériorité, d’un sentiment de différence, d’avoir des blessures ouvertes qui les amènent à penser qu'ils ne sont pas à la hauteur : « je suis trop ceci ou trop cela, je ne suis pas assez, il/elle est mieux que moi ». Je suis sûre que vous pouvez vous reconnaître dans ses superlatifs. Comment faire alors si la comparaison sociale est omniprésente dans notre vie mais qu’en opposition, vivre en étant pleinement détaché du regard des autres est impossible ?
Oui, les psychologues adorent poser des questions mais sachez qu’ils ne détiennent aucune vérité, simplement une analyse de la situation et des hypothèses valables à un instant précis.
Je crois que l'être humain a autant besoin du sentiment de différence que du sentiment d’appartenance au cours de son existence. Selon l'âge, nous allons mobiliser de l'énergie à être différent ou identique afin de trouver où sont nos particularités : pourquoi je suis « moi » et pas une autre personne, qu'est ce qui fait de moi un être unique?
Lors de ses premiers moments de vie, le nourrisson, le bébé, n’a pas encore la capacité de se distinguer de ses parents, comme s’il existait une continuité entre eux et lui. Il en sera de même pour son doudou par exemple. Je suis l’Autre et l’Autre est moi. Nous ne faisons qu’un et cela est très rassurant. Lorsque le bébé avance dans son développement, il touche du doigt la notion d’individualité, en passant par des moments d’angoisses particulièrement désagréables mais indispensables. « Si je ne suis pas l’Autre, cela veut dire qu’il est différent mais aussi qu’il peut partir, me laisser, qu’il va probablement « désirer ailleurs », il va me manquer, je vais peut-être lui manquer et je ne sais pas si je le reverrais. C’est là que commence l’identification à l’Autre et donc la comparaison sociale, ainsi que le concept de désir et de manque. D’abord les parents, les membres de la famille et ensuite les copains et copines. L’enfant aura besoin d’être différent et d’être pareil. Cette dualité ne le quittera plus jamais. En grandissant, le sentiment d'appartenance deviendra un élément crucial, la référence à un sexe, à une classe d'âge, à une passion (sport, musique etc.) car le besoin de développer son individualité sera vitale tout autant que d’appartenir à un groupe.
La comparaison est partout, tout le temps et commence dès la vie in-utero et parfois dès la conception. Les fantasmes, les peurs, les attentes des futurs parents donnent déjà une fonction à leur futur bébé. Voici une liste (non exhaustive) de phrases courantes qui vous rappelleront à quel point vous avez été confrontés à la comparaison tout au long de votre vie, pratiquement chaque jour :
- « Quand j’étais enceinte, j’ai continué à faire du sport, c’est important pour garder la ligne tu sais» - « Ta sœur, pendant sa grossesse, n’avait pris que 9 kilos, tu devrais faire plus attention »
- « J’espère que ce sera un garçon car je ne supporterais pas que mon enfant puisse vivre ce que j’ai vécu en tant que petite fille »
- « Regarde ton copain, il a eu 9/10 en grammaire, c’est la preuve qu’en travaillant plus, tu aurais pu y arriver aussi »
- « Pourquoi fais-tu toujours l'idiot lorsque nous recevons des amis à la maison? Leur fille a été sage, elle, que vont-ils penser de nous maintenant à cause de toi ? »
- « Range ta chambre, je ne sais pas comment tu feras plus tard pour te débrouiller seul, heureusement que ta soeur n’est pas comme toi »
- « Si elle a eu une mention au baccalauréat, tu aurais du en avoir une aussi, ce n’est pas normal »
- « Tous les garçons de ton âge aime le sport, le foot, pourquoi tu ne fais pas comme eux? »
Je vous invite à prendre maintenant du recul et même à rire de la comparaison sociale, osez l’auto- dérision pour apprendre à vous aimer tel que vous êtes! « Je suis et je serai toujours "le différent" de quelqu’un ». J'ai bien conscience que cela peut générer beaucoup de souffrances, de se sentir en décalage, d’avoir été humilié ou harcelé ou rejeté pour vos différences. Et je ne minimise pas du tout l’impact que ces évènements puissent avoir eu sur vous. Toute l’utilité de l’épreuve réside là, il me semble.
Comment s'aimer lorsque nous avons l'impression que l'autre ne nous aime pas? Que se passe-t-il si vous vous détachez du besoin d'être validé par l’Autre, en mettant plutôt votre énergie à vous aimer personnellement ? Puis-je m’aimer tel que je suis alors que je me compare sans cesse aux autres et que la société m’incite à entrer dans une case, à correspondre à une norme ?
Ces phrases peuvent paraître très « fleur bleue », je vous l’accorde. Et pourtant, la plus grande motivation de l’être humain est l’amour. Etre aimer des autres comme une condition pour s’aimer soi même. A l’âge adulte, nous le verbalisons rarement en ces mots mais plutôt par ceux-ci :
« J’ai besoin de reconnaissance, j’ai envie de me dépasser, de relever ce challenge, d’atteindre tel objectif, de réaliser ce rêve, me former dans tel domaine etc. ».
Finalement, n’est-ce pas un moyen de s’investir dans une quête universelle qui serait d’atteindre une version de soi-même que l’on pourrait aimer un peu, beaucoup, passionnément ? ».
Lors de son développement, les enfants prennent notes de certains faits déterminants et les transforment en croyances sur eux, ce qu’ils doivent ‘être ou ne pas être’, ‘faire ou ne pas faire’ afin de mériter l’amour des autres, de leurs parents dans un premier temps. C’est à dire que l’enfant dans sa perception des situations est persuadé qu’il est moins bien aimé ou pas aimé, lorsqu’il crie, qu’il est hyperactif, timide, pense à lui d'abord, à des mauvaises notes, ne sait pas répondre à une question, pleure trop ou pas assez, parle trop ou pas assez (il y aurait finalement des millions d’exemples). Ce qui passe véritablement c’est que son parent est dans un inconfort émotionnel à l’instant T face au comportement de son cher et tendre. C’est rarement un manque d’amour ou un rejet de sa personnalité en devenir. L’enfant n’étant pas en capacité de le percevoir de cette manière là, il est intéressant de verbaliser et de le rassurer dès que cela est possible. `
Que c'est épuisant le monde des adultes! Il faut sans cesse se soustraire à leurs envies, à leurs besoins. Nous devenons ce que nos parents veulent que nous devenions. Ces croyances sur la vie, sur les autres et sur soi, se transformeront au fur et à mesure des années en vérité et viendront probablement définir un grand nombre de vos choix et de vos comportements.
La rébellion lors de l’adolescence est une phase nécessaire pour se débarrasser sainement des couches de croyances trop éloignées de votre véritable identité et personnalité.
De nombreux patients avouent ne pas avoir fait cette fameuse crise d’adolescence. Préparez vous à accueillir des jolies crises de la trentaine ou de la quarantaine alors. Tout cela est très sain à partir du moment où vous faites en sorte de vous dépouillez de ces croyances qui ne vous appartiennent pas, que vous vous libériez des couches de « pseudos vérités » qui vous éloignent de votre version originale. Ce travail est difficile mais nécessaire. Et c’est là, où la thérapie est aidante. Elle permet d’apprendre à vous connaître, savoir qui vous êtes vraiment, venir vous reconnecter à votre individualité en étant dénué des croyances de vos parents, amis, collègues ou autres membres de la famille.
Prenez quelques instants pour demander à votre « enfant intérieur » (c’est à dire vous en version enfant à 5 ans, à 8 ans ou à 10 ans, par exemple) ce qu'il a cru devoir "être" pour se sentir aimé par les autres ?
Prenez le temps de lui parler, de le rassurer, de lui apporter de la compassion, de la bienveillance et de l’amour. Le travail sur « l’enfant intérieur » en thérapie est un de mes sujets préférés, c’est puissant, transformateur et véritablement aidant pour les patients. Nous vivons très souvent des émotions intenses lors de ce travail thérapeutique qui agit en profondeur. Vous êtes la meilleure personne aujourd’hui pour apporter de l’amour à l’enfant que vous avez été et à l’adulte que vous êtes. Croire que c’est à l’Autre de vous combler est une illusion de votre psychique (à mon humble avis bien sûr).
Si nous sommes tous "le différent" de quelqu’un alors nous appartenons tous à la même catégorie : « un humain ayant pour seul objectif inconscient d’être aimé tel qu'il est ».
J'espère que ce mois de procrastination aura été constructif afin de vous faire voyager avec moi durant ce vol mais également dans le monde des humains "normaux et atypiques". Si vous souhaitez avoir des données chiffrées sur le sujet, je vous invite à consulter le magazine « cerveau et psycho » de mai 2023. Bonne comparaison et bonne lecture :)
15 commentaires sur Accepter ses différences et apprendre à s’aimer en arrêtant de se comparer