Amis, amants… Quand les frontières sont floues

Les frontières entre l’amitié, la sexualité et l’amour sont parfois floues. Peut-on être amis avec le genre opposé (ou tout du moins celui qui nous intéresse ?). Comment gérer les tensions et les attirances qui peuvent naître dans des amitiés ? On se penche sur le sujet.

L’amitié homme/femme : un débat sans fin

« L’amitié homme/femme n’est pas possible. » « On ne peut pas être amis avec des personnes du genre qu’on désire. » Ces idées circulent encore parfois, et dépeignent un monde où l’on ne pourrait être amis qu’avec des personnes d’un genre qui ne nous attire pas. S’il est maintenant admis qu’on peut être amis avec qui que ce soit, quelle que soit son orientation, quelques idées reçues persistent… Mais aussi des mythes.

Le mythe des hommes sans limites

L’adage qui veut que l’amitié homme/femme ne soit pas possible se base sur un concept particulièrement sexiste, où les hommes ne pourraient pas se retenir de désirer les femmes, et celles-ci devraient se « protéger » de leurs avances. Si l’on entend régulièrement « c’est un homme, il ne peut pas s’en empêcher » ou « ils sont tous comme ça », cela entretient ce climat de méfiance.

Pourtant, on peut reconnaître les problématiques de violence sexistes qui sont particulièrement prégnantes dans notre société… Tout en reconnaissant aussi que les hommes ne sont pas des animaux assoiffés de séduction et de sexualité. C’est donc un enjeu qui va au-delà de l’amitié, jusqu’aux représentations sociales qu’on se fait des différents genres. C’est par ailleurs une des composantes de la masculinité toxique, comme on l’a vu récemment.

Le mythe des attirances exclusivement hétérosexuelles

Autre critique que l’on peut faire à cette idée : elle sous-entend que tous les hommes aiment exclusivement les femmes, et les femmes aiment exclusivement les hommes. Cela voudrait dire que les personnes bisexuelles, qui sont attirées par tous les genres, ne pourraient pas avoir d’amis, car elles seraient attirées sexuellement par l’intégralité de la population humaine. Sans mentionner également les personnes asexuelles, qui elles n’ont d’attirance sexuelle pour personne.

C’est aussi dire que les femmes ne peuvent être amies qu’avec des hommes homosexuels : une idée éculée, qui a popularisé un autre stéréotype nocif. Le « meilleur ami gay » est un cliché qui peuple les séries télévisées et les romans suggère qu’un homme doit être homo pour ne pas présenter de danger et être ouvert émotionnellement aux femmes. Ces idées sont donc basées sur des représentations sexistes et parfois homophobes.

Que nous dit la science ?

Pour recadrer notre interrogation, on peut donc se poser la question suivante : « Une amitié entre deux personnes qui pourraient s’attirer est-elle possible ? ». À ce sujet, les réponses sont un tantinet plus floues, tout du moins si l’on en croit certaines des rares études qui sont consacrées au sujet.

En 2000, une étude titrait de manière sensationnaliste « Est-ce que les hommes et les femmes peuvent être juste amis ? ». Elle montrait que les hommes étaient a priori plus ouverts à l’idée de développer des relations sexuelles avec leurs amies, que l’inverse.

Une quinzaine d’années plus tard, une autre étude montrait que les questions d’attirance n’étaient pas exclues dans les amitiés hétérosexuelles entre un homme et une femme. Elle concluait que les hommes avaient tendance à être plus attirés par leurs amies féminines que l’inverse… Mais aussi à surestimer l’attraction que leurs partenaires amicaux féminins avaient pour eux. De leur côté, les femmes avaient tendance à sous-estimer l’attirance de leurs amis.

Mais ces résultats sont à mitiger. D’une part, les études sur le sujet sont très peu nombreuses, de l’autre, elles sont ancrés dans des rôles genrés. C’est-à-dire qu’elles reflètent le conditionnement qui pèse sur les hommes et les femmes en ce qui concerne les stéréotypes. Et tout cela évolue avec les années.

Amitié et attirance : les deux sont-elles compatibles ?

Que se passe-t-il alors quand on souhaite être ami.e avec quelqu’un qui nous attire sexuellement ? Plusieurs cas de figure peuvent exister : 

Être attiré… Mais ne pas agir

On l’oublie parfois, mais il est entièrement possible d’être attiré sexuellement par plus d’une personne. Chez les êtres humains, c’est même courant, et cela ne fait pas nécessairement de nous des personnes infidèles. Cela revient à une question de choix : on peut ressentir un désir sans agir sur cette attirance.

Si l’on a sincèrement envie de connaître une personne, qu’on souhaite l’accompagner et la soutenir, qu’on passe des moments platoniques enrichissants, et que notre partenaire ne se sent pas lésé par cette relation, il s’agit bel et bien d’une amitié.

À l’inverse, si l’on conserve cette amitié uniquement parce que cela nous titille le coin du crâne (ou ailleurs), il faut réévaluer les raisons pour lesquelles on fréquente la personne. On note aussi qu’il peut s’agir d’une pente assez glissante si l’attirance sexuelle est partagée. Comme dans les autres domaines des relations amoureuses et sexuelles, il faut donc être particulièrement au clair sur les raisons qui nous poussent à fréquenter quelqu’un.

Être amis, et choisir d’avoir des relations sexuelles

Autre possibilité : on peut être amis avec quelqu’un qui nous attire sexuellement… Et décider de donner suite à cette attirance, si l’on est tous deux célibataires. Si l’on est attiré sexuellement par son ami.e, et que l’on décide d’avoir des relations sexuelles, s’arrête-t-on pour cela d’être amis ?

Sans naissance de sentiments amoureux, on peut très bien considérer que l’on est strictement amis, et que passer du bon temps entre des draps (ou ailleurs) ne change pas fondamentalement la nature de la relation. C’est un sujet qui peut encore être vu comme tabou, mais l’émergence de nombreux termes pour qualifier la relation (sex friend, friends with benefit, amitié colorée, etc.) montre bien que la situation est courante.

On parle désormais de « situationship » (une situation plutôt qu’une relation) pour décrire ces zones grises où l’attirance, les sentiments forts et le sexe se mêlent sans nécessairement que les parties concernées ne souhaitent clarifier les choses.

Des barrières qui sont souvent floues

Car si les barrières entre amitié, sexualité et amour étaient si nettes que cela, cela ne susciterait pas des discussions si enfiévrées depuis la nuit des temps. On rappellera donc qu’il n’y a pas nécessairement de règle à suivre, et qu’il s’agit simplement de s’assurer que les dynamiques d’amitié que nous avons ne nous nuisent pas (ou ne nuisent pas à nos partenaires amoureux).

Cela revient à la question de l’intimité, et elle est particulièrement épineuse. Pour certains, se confier à cœur ouvert à sa meilleure amie, mais pas à sa femme, est plus problématique qu’un flirt sans lendemain. Car l’intimité n’est bien sûr pas uniquement liée aux gestes que l’on fait, et des relations très fortes existent sans embrassades ni caresses. Où alors mettre le curseur ? C’est à chacun d’en décider.

Conclusion

L’amitié entre des genres qui peuvent s’attirer est bien sûr possible. Mais il serait illusoire de penser que des dynamiques de séduction et d’attirance (conscientes ou non) sont complètement exclues lorsqu’il s’agit d’amitié. D’où certaines problématiques que cela peut soulever.

Socialement, l’être humain se caractérise par une grande envie de suivre des règles (l’amitié dans une case, le sexe dans l’autre, l’amour dans une autre). Mais dans la réalité, les contours sont souvent plus flous.

On se gardera donc d’avoir des définitions trop nettes. Si toutes les personnes incluses sont conscientes de ce qui se joue, et si personne ne souffre d’une situation, avoir des codifications trop rigides ne fait parfois que compliquer les choses. Cela montre aussi la nécessité de communiquer de manière efficace dans un couple ou dans une amitié, afin que chacun se sente en sécurité émotionnellement, à l’intérieur comme à l’extérieur des draps.