En France, la prise en compte des troubles du neurodéveloppement tels que l’autisme, le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou encore les dys est très largement médicale. Pourtant, des voix s’élèvent pour « dépathologiser » ce qui peut l’être, afin d’apporter une aide plus ciblée aux personnes concernées. Qu’en penser ?
Deux enfants sont en classe de CP. L’un d’entre eux, Léo, présente des difficultés pour tenir en place et regarder dans les yeux. Il a parfois des crises de mutisme et se met en colère : il ne joue pas beaucoup avec ses camarades. Ses notes en souffrent, alors son professeur et ses parents sont mis sur la piste d’un diagnostic d’autisme. Une fois détecté, Léo obtient plus de soutien de la part de l’école, mais il « devient » aussi un enfant autiste. Au collège, il subira les moqueries de ses camarades. À l’âge adulte, les médecins, les assistants sociaux ou encore les recruteurs le prendront moins au sérieux s’il révèle sa particularité. Il sera par ailleurs moins encouragé à poursuivre des études longues, à cause de ses difficultés perçues. Pourtant, il aurait aimé être vétérinaire.
L’autre enfant, c’est Cléa. Elle a de bonnes notes, mais reste beaucoup dans son coin. On lui dit qu’elle est dans sa bulle, passionnée par les livres, les bandes dessinées. Elle se met peu en colère, mais parle aussi assez peu. Elle ne donne pas l’impression de souffrir beaucoup de son isolement. Cléa ne sera pas détectée, et ne saura pas qu’elle est autiste. En grandissant, elle devra se suradapter énormément, ce qui déclenchera chez elle beaucoup d’anxiété, et des phases dépressives à partir de l’adolescence. Mais petit à petit, elle se construira un groupe d’amis et ses parents l’encourageront à faire des études dans sa passion : le dessin. Cléa deviendra graphiste, et si elle se sentira toujours en décalage, elle « fonctionnera » plutôt bien au quotidien. Elle aura cependant du mal à avoir des relations amoureuses, et ses amitiés seront difficiles à maintenir.
Qui de Léo ou de Cléa aura eu le meilleur parcours ? Ces deux exemples, volontairement caricaturaux, montrent des parcours pourtant classiques pour les personnes neuroatypiques. Souvent, passer entre les mailles du filet lorsqu’on est enfant peut être source d’énormes difficultés à l’âge adulte… Mais aussi d’une liberté que ne connaîtra pas un enfant diagnostiqué très tôt d’un TDAH ou d’un trouble du spectre autistique ! Qu’en penser alors ? Est-il toujours bon de « pathologiser » la neuroatypie ? Nous allons explorer ces questionnements.
Aujourd’hui, les diagnostics liés à la neurodiversité sont basés sur des méthodes médicales qui ont fait leurs preuves. Les personnes concernées passent en général des batteries de tests psychométriques, avec des entretiens auprès de psychologues et psychiatres spécialisés.
Lorsqu’on reçoit son diagnostic – positif ou non – c’est également un modèle très médicalisé qui est utilisé. La personne concernée apprendra si elle souffre d’un « trouble » ou non, avec souvent des recommandations de suivi par des spécialistes, voire des recommandations de médicaments pour traiter les troubles associés, ou comorbidités.
L’avantage principal de cette méthode, c’est bien sûr l’accès à des ressources spécialisées, ainsi que la prise en compte de besoins spécifiques. Des enfants auront accès à des services éducatifs adaptés, des adultes pourront justifier plus aisément d’aménagements au travail ou encore recevoir des aides financières pour pallier certaines limitations.
Les limites de ce type de parcours, ce sont cependant les pathologisations qui sont liées. Les adultes neuroatypiques souffrent souvent de discrimination : la parole des autistes est ainsi souvent moins entendue, même par des professionnels de santé. Par ailleurs, déclarer ce « handicap » peut mettre des bâtons dans les roues de personnes qui souhaitent accéder à un prêt immobilier, obtenir un emploi ou avancer dans d’autres étapes importantes de la vie.
Dès l’école, un enfant catégorisé « neuroatypique » sera par ailleurs traité différemment par les enseignants. C’est bien sûr dans un but d’aide, mais les effets sur l’identité, l’estime de soi ou l’intégration à des groupes sociaux peuvent être très nets. Sans compter qu’une étiquette médicale fait percevoir tous les comportements d’une personne à travers ce prisme.
Par exemple, une personne autiste ne sera pas simplement en colère, mais « en crise ». Une personne présentant un TDAH ne sera pas adepte de voitures, mais adepte de « comportements de conduite dangereux ». Le trouble vient parfois imprégner tous les comportements perçus ; la surmédicalisation soulève alors son lot de questions.
Pour explorer le sujet, il est nécessaire de différencier le « trouble » de la « maladie mentale ». La question suscite de nombreux débats et de nombreuses revendications dans la communauté neuroatypique. Il existe en effet une tendance à la dépathalogisation des profils concernés ces dernières années… Tout en laissant de la place pour les difficultés générées.
À l’inverse d’une maladie mentale, les troubles du neurodéveloppement (TND) ne sont en effet pas dégénératifs, et les particularités rapportées ne sont considérées comme anormales que lorsqu’elles causent des souffrances.
Autrement dit, une personne qui se balance plus que la moyenne n’est pas malade en soi. De la même manière qu’une personne qui sera plus impulsive et remuante ne montre qu’un décalage avec la norme sociale acceptée. Et si une personne neuroatypique souffre d’anxiété et de dépression, ce sont des troubles qui ont été souvent générés par son décalage avec la société, mais qui sont bel et bien séparés de son fonctionnement neurologique.
Les neuroatypies sont donc désormais presque uniquement catégorisées comme des « troubles ». Voici comment l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrit les troubles du neurodéveloppement :
« Des troubles comportementaux et cognitifs qui surviennent au cours du développement et entraînent alors des difficultés importantes dans l’acquisition et l’exécution de fonctions intellectuelles, motrices, langagières ou sociales. »
Ou pour dire les choses autrement, la société décide de manière implicite quel niveau de normalité existe pour certains traits (regarder dans les yeux, gigoter, parler à un certain niveau sonore, comprendre les implicites, etc.). Et tout ce qui sort de cette norme est pathologisé.
Ce qui cause donc la souffrance des personnes neuroatypiques, et ce qui peut constituer des handicaps, c’est donc le décalage avec ce qui est considéré comme normal. Dans un monde rempli d’autistes, la communication directe serait perçue comme la norme, et ce sont les conversations implicites qui seraient considérées comme étranges. Une personne parlant avec des sous-entendus pourrait alors être considérée comme « handicapée » dans sa communication !
C’est un point souligné par Robert Chapman, un chercheur neurodivergent :
« Neurotypique ne veut pas dire un type d’esprit fixe, ou un groupe naturel. Cela se réfère à tous ces individus dont les fonctionnements neurocognitifs correspondent globalement aux normes, et sont facilités par leur culture ou leur société durant une certaine période de temps. »
Être autiste, TDAH, dys… Ne fait donc pas souffrir de manière isolée. C’est toujours en relation avec la norme sociale, notre environnement et les limitations auxquelles nous nous heurtons. D’où le développement d’un nouveau modèle social plutôt que médical, que nous allons évoquer.
Il faut aussi rappeler que les personnes neuroatypiques présentent très couramment des « comorbidités ». C’est-à-dire des troubles qui viennent se surajouter à leurs profils neurologiques particuliers. Par exemple, les personnes autistes et présentant un TDAH sont plus couramment anxieuses et dépressives que la population générale.
Parmi les autres comorbidités courantes de ces profils particuliers, on peut aussi citer les troubles du comportement alimentaire (TCA), le syndrome d’Ehlers–Danlos ou les insomnies chroniques. Le point commun de ces comorbidités, c’est qu’elles constituent en soi des troubles médicaux, qui sont traitables ou soignables.
La prévalence très forte de ces troubles parmi les personnes neuroatypiques est une des raisons pour lesquelles la médecine a eu tendance à pathologiser les TND. Mais il faut bien distinguer les deux. Voici un exemple de diverses caractéristiques d’une personne autiste, que l’on peut séparer entre « comorbidités » et « fonctionnements qui s’écartent de la norme » :
Troubles mentaux / comorbidités |
Fonctionnements non pathologiques |
Pensées dépressives, suicidalité |
Besoin d’isolation sensorielle et/ou sociale |
Anxiété généralisée |
Besoin de planifier en avance |
Automutilation, gestes compulsifs |
Balancements, « stims » |
Troubles du comportement alimentaire (TCA) |
Forte préférence pour certains aliments, routine |
Insomnie chronique, épuisement |
Rythme de sommeil décalé dans la journée |
Tout l’enjeu pour un professionnel est donc de déceler ce qui peut être problématique pour la santé d’une personne et ce qui ne constitue qu’un écart avec la norme. Par ailleurs, plus une personne est en souffrance mentale, plus ses comportements glissent vers un trouble. Par exemple, une personne qui se balancera d’un côté à l’autre pourra commencer à le faire pendant des heures, déclenchant des problèmes d’oreille interne.
Il est inutile de « forcer » certains comportements, par exemple forcer une personne autiste à regarder dans les yeux, ou forcer une personne hyperactive à rester immobile. Ces corrections ne sont faites que pour le confort des personnes qui les appliquent et peuvent causer de grandes souffrances aux personnes qui sont ainsi contraintes à se conformer à la norme.
Il est toujours bon de se poser la question suivante : si je cherche à modifier le comportement d’une personne, est-ce réellement pour son bien-être, ou est-ce parce que la manière dont elle se présente me dérange personnellement ?
Que retenir de tout cela ? Que s’il est bien sûr essentiel de traiter et soigner les troubles des personnes neuroatypiques, leur inclusion est tout aussi importante. C’est elle qui détermine une grande partie de leur qualité de vie, avec une réduction des troubles associés. La dépression, l’anxiété et les autres souffrances psychologiques ne surgissent en effet pas de nulle part.
Cette « dépathologisation » du quotidien des personnes concernées par une neuroatypie est clé, car l’isolement social est un des premiers facteurs de souffrance pour ces dernières. Cela passe donc par la mise en place de solutions dès l’école, et des accompagnements plus poussés dans la vie de l’entreprise.
Cela passera nécessairement par une meilleure éducation au sujet, qui est particulièrement lacunaire en France chez les professionnels qui accompagnent les personnes autistes, dys, ou encore celles qui sont concernées par un TDAH.
Il ne s’agit donc pas, comme on peut parfois l’entendre, de prétendre que les personnes neuroatypiques n’ont pas de problèmes réels. Il s’agit plutôt de pathologiser ce qui peut relever de la maladie, et d’écarter une vision médicale lorsque celle-ci fait plus de mal que de bien.
On en revient alors à l’idée de diversité. Tout comme la couleur des cheveux, la forme des yeux ou la taille, les aspects neurologiques s’expriment sur des spectres. Il s’agit alors de prendre en compte l’intégralité du spectre, et pas seulement la partie qui est la plus représentée parmi la multitude qu’est l’humanité.
Repenser la pathologisation des personnes neuroatypiques consiste non pas à ignorer leurs problématiques, mais à porter un regard plus juste et plus éduqué sur leurs particularités. Cela permet aussi de reconnaître la très grande diversité des profils, et de ne pas avoir de vision monolithique de catégories entières de la population.
Cela nécessite des moyens conséquents, pour accompagner chaque personne de manière adaptée. En la laissant libre de faire ses choix, mais en s’inscrivant en soutien solide lorsque cela est nécessaire. Pour cela, la mise en place d’outils d’éducation est cruciale, en particulier chez les professionnels de la santé mentale qui font souvent face à des personnes présentant des TND.
16 commentaires sur Diagnostic, handicap, comorbidités… Et si l’on repensait la pathologisation des personnes neuroatypiques ?