Sexualité et autisme : au-delà des clichés

Peu intéressés par le sexe, trop enfantins, voire carrément asexuels… Les clichés sur les personnes concernées par un trouble du spectre autistique ont la vie dure. Pourtant, les personnes autistes ont les mêmes besoins et envies sexuelles que les personnes neurotypiques. D’où viennent alors ces idées reçues et quelle est la réalité de la vie sexuelle des autistes ?

Oui, les autistes ont une sexualité

Que l’on considère l’autisme comme un handicap ou non, une chose est certaine : la société a du mal à voir les êtres « différents » comme sexués. Il existe une grande pudeur quand il s’agit d’évoquer la sexualité de certaines personnes, pour des raisons qui nécessiteraient un article entier, mais qui se résument à une peur de la différence solidement ancrée chez l’être humain.

Chez les autistes en particulier, cet évitement est en partie causé par des clichés tenaces qui leur collent encore trop souvent à la peau. Il n’y a qu’à allumer sa télévision pour s’en rendre compte. Les représentations populaires font intervenir des personnages autistes souvent savants, concentrés sur leurs passions, qui ne semblent tout simplement pas intéressés par la sexualité. Cela va des représentations les plus néfastes (Sheldon de The Big Bang Theory) à celles qui font des efforts pour être plus justes (Abed de Community). Lorsque ces personnages - qui sont la plupart du temps de jeunes hommes hétérosexuels - parviennent à avoir une relation sexuelle, la narration présente souvent cela comme un exploit.

Même lorsque des séries documentaires se consacrent au sujet, on ne peut s’empêcher de voir un parti-pris dans la représentation des autistes. La série à succès Love on the spectrum, réalisée par Netflix, est un bon exemple. Elle suit les efforts de plusieurs personnes autistes pour trouver l’amour ou faire fonctionner leur couple. La sexualité y est peu évoquée, et lorsqu’elle l’est, on questionne les participants sur un ton très enfantin.

Un couple de vingtenaires y est par exemple maladroitement interrogé. Le couple vit ensemble, dort dans le même lit, mais on lui demande : « Avez-vous consommé votre relation ? ». Encore une fois, la sexualité de personnes autistes est vue comme une curiosité, et pas comme un acquis – ce qui serait le cas pour un couple similaire de personnes neurotypiques.

Pourquoi cela ? Parce que les personnes autistes sont souvent considérées comme enfantines voire carrément immatures, peu débrouillardes avec les personnes de genre opposé, ou complètement inéduquées sur les relations. De là à y voir un désintérêt total pour la sexualité, il n’y a qu’un pas, que beaucoup de médias et de professionnels du secteur s’empressent de faire.

Des études qui contredisent ces idées reçues

Pour autant, plusieurs études ont montré que les personnes TSA ressentent les mêmes besoins et intérêts sexuels que leurs pairs. Cela dit, elles en parlent souvent moins… Et on a aussi tendance à ne pas les interroger sur le sujet. C’est un problème récurrent, comme on va le voir.

Pourtant, plusieurs publications ont montré que les autistes ont non seulement les mêmes besoins et envies en ce qui concerne le fait de se mettre en couple, mais également sur le plan purement sexuel. Une étude de 2017 menée par le Docteur Daniel Schöttle indiquait ainsi : 

« Tout comme les adultes non affectés, les individus présentant des troubles du spectre de l’autisme montrent l’intégralité de la gamme des comportements sexuels. »

Une conclusion que rejoint une autre étude plutôt récente (juin 2021) parue dans Frontiers in Psychiatry. Elle avait interrogé des adolescents autistes et non autistes entre 15 et 18 ans, et trouvé « des fréquences d’expériences sexuelles très similaires entre les groupes ». Elle soulignait par ailleurs une faille considérable dans les études consacrées au sujet, qui se basent souvent sur des témoignages de parents ou aidants de personnes autistes pour évaluer leur sexualité.

C’est-à-dire qu’on interrogeait jusque là les parents des personnes autistes pour savoir si celles-ci se livraient à des activités sexuelles solitaires ou à plusieurs. Les parents rapportaient sans surprise des habitudes bien moins fréquentes que lorsqu’on interrogeait les personnes directement concernées. C’est une tendance malheureusement très fréquente dans la recherche sur l’autisme.

Autisme et sexualité : quelques spécificités

Reste que les personnes autistes peuvent avoir des difficultés avec les relations sociales, ou les sensations physiques, et que le sexe est justement au croisement de ces deux mondes. Leur manière de penser peut aussi apporter quelques différences. On peut donc évoquer de possibles spécificités, qui peuvent modifier la manière dont elles abordent leur sexualité. On notera cependant qu’il existe autant de sexualités que de personnes autistes, on ne peut donc faire que des généralités.

Dans l’ensemble, les personnes autistes sont moins affectées par les codes sociaux, cela se retrouve donc dans la manière ils abordent certains domaines, et la sexualité en fait partie. On peut déjà noter qu’une plus grande part des adultes TSA se considèrent comme non hétérosexuels et non cisgenres. Une étude internationale de 2018 montrait ainsi que 70 % des personnes autistes interrogées s’identifiaient comme homosexuelles, bisexuelles, ou non hétérosexuelles. C’est une part trois fois plus élevée que chez la population générale.

L’autisme ne prédispose bien sûr pas en soi à avoir une orientation sexuelle différente. Mais le poids des constructions sociales pèse moins lourdement sur les épaules des personnes autistes, ce qui leur permet plus aisément d’explorer des sexualités, genres ou identités qui sortent du cadre hétéronormé. La tendance semble par ailleurs être la même quand il s’agit de pratiques sexuelles. Une étude de 2017 indiquait ainsi une plus grande tendance à l’exploration de pratiques « non normatives » :

« Les individus avec un TSA semblent avoir plus de fantasmes et comportements hypersexuels et paraphiliques que les études sur la population générale le suggèrent. » 

On notera que dans cette étude, le terme « paraphilique » est utilisé pour qualifier des actes sexuels qui diffèrent de la norme – pas des actes qui nuisent à autrui.

Autre point à souligner : bien que le rapport que nous mentionnions plus haut indiquait que les jeunes autistes avaient des pratiques sexuelles aussi fréquentes que leurs pairs à l’adolescence, un écart se formerait à l’âge adulte. Spécifiquement en ce qui concerne les pratiques sexuelles à deux :

« Deux ans plus tard, une partie des participants [âgés de 18 ans en moyenne] avaient beaucoup moins d’expérience sexuelle […] en ce qui concerne les comportements dyadiques [c’est-à-dire avec partenaire (embrassades, caresses, etc.)]. Par conséquent les adolescents avec TSA pourraient être tout autant actifs sexuellement, mais auraient moins d’expérience sexuelle dyadique que leurs pairs. »

Une tendance que l’on retrouve sur le plan amoureux, et qui s’explique largement par les difficultés sociales souvent rencontrées par les personnes autistes. L’étude de Frontiers in Psychiatry citée plus haut indiquait que plusieurs éléments pouvaient cependant favoriser les contacts sexuels à l’âge adulte : le genre féminin, l’âge plus élevé, ainsi que des connaissances sexuelles plus élevées.

Hypersensibilité, rigidité et routines

L’hypersensibilité est souvent une grande compagne de route des autistes. Or, une grande sensibilité à un stimulus sensoriel peut pousser une personne à rejeter la sensation (sensory-avoidant) ou à la rechercher (sensory-seeking). C’est pour cela qu’une personne autiste peut adorer manger de la nourriture très acide… Tout en ne supportant pas la texture de certains autres aliments.

Cela peut aussi bien sûr être le cas pour les pratiques sexuelles. Certaines personnes autistes auront un attrait particulier pour des pratiques sexuelles – jusqu’à en faire un intérêt spécifique. Alors que d’autres, qui ont du mal à supporter le toucher, pourraient ne pas accepter qu’on les approche d’une manière si intime. Là aussi, chaque personne autiste est différente… Et peut se comporter différemment d’un partenaire à l’autre.

Certaines personnes TSA peuvent également avoir besoin d’une grande routine dans leur vie quotidienne, avec des attentes assez rigides en termes de fréquence ou de pratiques. Tout comme pour le reste d’une vie de couple, il s’agit donc de trouver un équilibre avec son ou sa partenaire.

De manière générale, on peut dire que les particularités sensorielles et les habitudes des personnes autistes s’expriment logiquement dans leur manière d’aborder la sexualité. Avec le poids émotionnel qui vient en général avec un acte si intime. Il est donc particulièrement important d’en discuter avec un partenaire éventuel si l’on se sait sensible sur ce sujet.

Conclusion

Lorsqu’il est question d’autisme, les clichés sont malheureusement souvent rois, et la sexualité n’y échappe pas. On conclura donc cet article en répétant que oui, les autistes ont la même prédisposition pour le sexe que les personnes neurotypiques, mais qu’elle ne s’exprime parfois pas toujours de manière normée… Si tant est qu’il y ait une vraie norme en matière de sexualité.

Heureusement, la recherche semble s’écarter de la pratique courante et infantilisante qui consistait à interroger les proches des personnes autistes plutôt que ces dernières. De plus en plus de données sont donc disponibles sur le sujet, et permettent de voir que la sexualité des personnes autistes est bien plus riche et variée que ce que l’on pouvait imaginer jusque là.

Publié par Cam

Journaliste HPI/TSA à la recherche du mot juste et d'un monde plus ouvert à la différence. Créatrice du podcast Bande d'Autistes !
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