Les profils neuroatypiques vivent souvent la vie avec une grande intensité. Leurs passions sont décuplées, leurs dégoûts les submergent. Avec d’un côté l’envie de tout explorer, et de l’autre celle de rester dans son cocon. Comment alors équilibrer ces tendances, et trouver un juste milieu ? On fait le point dans cet article.

Neuroatypie et hypersensibilité : des particularités de fonctionnement

Il faut déjà rappeler que les personnes neuroatypiques sont souvent de grandes hypersensibles. L’hypersensibilité, c’est lorsqu’on ressent les choses plus fort que la moyenne. Les hypersensibilités peuvent être physiques : on ne supporte pas le moindre toucher, ou le goût d’un aliment peut nous donner la nausée. À l’inverse d’une personne « typique », ces sensations seront envahissantes, et il nous sera impossible de les ignorer.

L’hypersensibilité peut aussi être émotionnelle : l’on vit alors tout avec une grande intensité. Nos chagrins sont dévastateurs, et nos joies sont euphorisantes. C’est ce qui peut nous empêcher de regarder les informations, car nous sommes trop touchés. Mais c’est aussi ce qui peut nous rendre si heureux pour les petits bonheurs du quotidien.

À cela s’ajoute l’hypersensibilité au rejet, qui est courante à la fois chez les personnes neuroatypiques et celles qui ont vécu des traumatismes liés aux relations. Cela crée une volatilité émotionnelle où l’on interprète des petits gestes comme des signes de rejet. L’on se convainc alors qu’une personne nous déteste, ou qu’elle ne nous a jamais aimée.

Vous l’imaginez, si l’on combine ces hypersensibilités, cela nous prédispose bien sûr à avoir des réactions, envies ou rejets qui sont particulièrement marqués… Et cela nous conduit aussi à avoir ce qu’on ressent comme des montagnes russes émotionnelles. Une lettre des impôts peut nous plonger dans le désespoir le matin… Puis un café avec un ami peut nous combler de joie l’après-midi. Autant dire que ce n’est pas reposant !

L’histoire des « hyperexcitabilités », ou comment nous sommes stimulés par tout

Le psychiatre et psychologue polonais Kazimierz Dąbrowski a établi le concept des « hyperexcitabilités » à la fin des années 70. Elles font écho à des caractéristiques typiques chez certains profils neuroatypiques, et sont parfois utilisées par les personnes HPI pour décrire leur fonctionnement. Selon le psychiatre, les personnes à haut potentiel de développement ont une « excitabilité » accrue, qui est due à une différence du système nerveux central.

Ce concept, très similaire à l’hyperactivité sur certains points, est séparé en cinq types :

  • L’hyperexcitabilité psychomotrice, c’est-à-dire l’agitation motrice, la difficulté à rester en place, une grande énergie.
  • L’hyperexcitabilité sensuelle, qui est ce qu’on appelle désormais l’hypersensibilité des cinq sens
  • L’hyperexcitabilité imaginative. C’est-à-dire une tendance à la rêverie, une vie intérieure particulièrement riche, ainsi qu’une grande créativité.
  • L’hyperexcitabilité intellectuelle, c’est-à-dire une capacité pour l’analyse, un goût pour la synthèse, et un fort besoin d’apprendre.
  • L’hyperexcitabilité émotive, que l’on peut là aussi nommer « hypersensibilité émotive » de nos jours.

On le voit, ces descriptions se rapprochent fortement de celles faites plus récemment en ce qui concerne la neuroatypie et les troubles du neurodéveloppement. Si ces théories sont donc souvent tombées dans l’oubli, elles pointaient déjà du doigt des caractéristiques particulières.

Et l’hyposensibilité ?

On peut aussi mentionner brièvement l’hyposensibilité. On en parle moins, car elle est moins visible, mais elle concerne aussi couramment des profils neuroatypiques. L’hyposensibilité, cela veut simplement dire que l’on est moins sensible à certains goûts, à certaines sensations, etc.

Cela donne des profils hyposensibles qui vont aller chercher des sensations nettes, en mangeant très épicé par exemple. Ou qui seront capables de se baigner dans une eau très froide sans comprendre pourquoi leurs amis trouvent ça insupportable.

C’est donc la même règle ici : un décalage avec la norme en termes de sensation peut conduire à des actions qui paraissent extrêmes pour les personnes neurotypiques.

Impulsivité et besoin de stimulations

Un autre aspect que l’on peut évoquer, et qui contribue à ces émotions en dent-de-scie, ce sont l’impulsivité et le besoin de stimulation. Les profils neuroatypiques, en particulier ceux qui présentent un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), s’ennuient vite et ont besoin de stimulation intellectuelle et physique. Cela peut aussi être le cas des profils HPI, pour qui une conversation banale peut être un gouffre d’ennui.

Ce besoin de stimulation peut se traduire par des conduites extrêmes : vitesse, drogues, relations intenses et éphémères… Mais nous y reviendrons plus loin. Ce qu’il faut retenir, c’est que les personnes neuroatypiques sont souvent « branchées » pour aller chercher de la stimulation, quelle qu’elle soit.

Sur une vie, cela peut donc les conduire à vivre de vraies montagnes russes. Cela se voit à travers des enchaînements de relations, des déménagements fréquents, ou encore des séries d’emplois qui se suivent de manière décousue. Cela peut parfois être très fatigant pour les personnes concernées, qui ne parviennent pourtant pas à fonctionner autrement.

Cela peut aussi les mettre en danger financièrement. Les profils neuroatypiques doivent souvent maîtriser leurs achats impulsifs. Quand on a des passions fortes, il est en effet difficile de se retenir de dépenser son argent pour ce qui nous procure beaucoup de bonheur.

La santé mentale joue également un rôle

Impossible de parler d’attraction, de rejet et de sensibilité sans mentionner la santé mentale. Les personnes présentant un trouble du neurodéveloppement ont souvent d’autres troubles associés. La majorité des personnes TSA présentent ainsi de l’anxiété, et il est courant pour les profils TDAH d’avoir un historique de dépression.

Or les troubles de santé mentale ont leur rôle à jouer sur les vies en montagnes russes des personnes neuroatypiques. Les épisodes dépressifs peuvent ainsi pousser à se renfermer, à perdre des relations, à quitter des emplois… Ce qui ne favorise pas la stabilité.

Il en va de même pour l’anxiété, qui peut nous isoler socialement. Par ailleurs, elle a un rôle net sur l’hypersensibilité, dont elle décuple les effets. Pour une personne neuroatypique, il y a donc aussi tous ces paramètres à prendre en compte.

Vouloir faire l’expérience de tout… Ou rien

Si nous allons chercher des expériences extrêmes, l’inverse peut aussi être vrai. Pour une personne autiste qui a un peu trop tiré sur la corde, un lieu sans stimulation peut avoir des airs de paradis. Les personnes neuroatypiques peuvent alors s’enfermer, se créant une bulle de confort avec du silence, des lumières tamisées, et aucun invité pour venir déranger son calme.

De la même manière, les rejets peuvent être très intenses. Si l’on n’aime pas un aliment, il pourra nous faire vomir. Si une personne nous déplaît, on aura du mal à la regarder, et le son de sa voix pourra nous être aussi insupportable qu’une craie qui crisse sur un tableau noir.

Là aussi, cela peut créer des situations qui nous semblent extrêmes, car on ne parvient pas à contrôler ses réactions de dégoût et de rejet. Et quand il s’agit de situations sociales, on peut vite paraître impoli, voire carrément hostile.

Comment gérer les montagnes russes ?

Comment alors gérer une vie qui nous paraît souvent intense, et qui nous secoue constamment dans un sens puis dans l’autre ? 

Apprendre à maîtriser son goût pour l’extrême

On vient de le voir, les personnes neuroatypiques sont souvent attirées par des expériences extrêmes. Jeûne d’une semaine dans le désert, ultramarathon de 100km, méditation pendant des heures ou encore bains d’eau glacée… De quoi décontenancer, quand à côté on ne supporte pas de faire la bise ou qu’on est dérangé par le bruit de la VMC !

Il s’agit donc de maîtriser ses impulsivités pour ne pas se mettre en danger. Si l’on se passionne d’un coup pour la course à pied, on peut ainsi se forcer à y aller doucement, plutôt que d’envisager un semi-marathon dans les semaines qui viennent. De la même manière, les expériences spirituelles ou les retraites extrêmes peuvent être des fuites, autant que des connexions à soi-même.

Il s’agit donc de se demander si l’expérience qui nous tente tant n’est pas dangereuse pour notre santé physique, mentale… Ou même financière !

Gérer ses relations et ses émotions en dent de scie

« Je l’adore, mais je le déteste aussi. » « Tu es la seule personne à me comprendre. » « Je ne me sens bien que quand tu es là. » « Je ne peux plus la voir, elle m’a fait trop de mal. » Lorsqu’on est attiré par les extrêmes, ou qu’on s’est construit avec des extrêmes, nos relations peuvent ressembler elles aussi à des montagnes russes.

En matière d’amitié, d’amour ou d’autres formes de relations, il est donc important de se rappeler qu’une relation équilibrée n’est pas censée susciter des émotions envahissantes tous les jours. Par ailleurs, si l’on va chercher des personnes qui déclenchent des émotions très fortes, l’on peut parfois confondre cela avec de l’amour. Les représentations cinématographiques, pleines de passion et de conflits, ne nous aident pas particulièrement à considérer la stabilité émotionnelle comme une preuve romantique.

Il sera alors important de « déminer » notre passé pour comprendre ce qui nous pousse à aller vers des profils particuliers… Et aussi de se rappeler que la routine, aussi insupportable soit-elle pour certaines personnes neuroatypiques, est un signe de stabilité !

Prendre soin de ses émotions et apprendre à les apprivoiser

On l’oublie souvent, mais la gestion de ses émotions, cela s’apprend. Nos réactions et impulsions extrêmes sont généralement des conséquences directes d’émotions profondes, dont nous ne sommes parfois pas toujours conscients. Si l’on se sent débordé par ses émotions, envies et autres fixettes, il est donc important de faire un travail pour apprendre à mieux se contenir et à s’apaiser.  

Cela peut passer par beaucoup de voies : thérapie, méditation, apprentissage de la communication non violente, etc. Cependant, on ne parviendra pas à se sentir en sécurité pour s’exprimer clairement et sereinement, à être bien avec les autres… Sans être bien avec soi-même. Là aussi, c’est donc aussi souvent un enjeu de santé mentale.

Il faut aussi généralement accepter que l’on est comme cela, et que ça n’est pas un mal en soi. Nos envies d’adrénaline et de stimulation peuvent ainsi nous pousser à nous dépasser en escalade, à décrocher un boulot que l’on convoitait, ou encore à devenir expert d’un sujet sur lequel on ignorait tout. Comme souvent, il s’agit donc avant tout d’apprivoiser cette part de nous, plutôt que de chercher à la supprimer.

Conclusion : vivre ma vie en montagnes russes

Les personnes neuroatypiques ont souvent des vies riches, qui peuvent les mener d’un bout à l’autre du spectre des émotions. Pour trouver une stabilité géographique, émotionnelle et financière, il est donc souvent important d’apprendre à se canaliser.

Cela ne veut pas dire vivre une vie ennuyeuse, bien au contraire. Il s’agit plutôt de canaliser nos ressources, envies et impulsions vers des projets ou des personnes qui sont bons pour nous, et qui nous permettent de tirer pleinement parti de nos capacités particulières.

Gérer ses émotions, c’est un apprentissage d’une vie, mais qui permet souvent de trouver sa place, et de s’entourer de personnes qui nous apaiseront. C’est donc un travail qui n’est jamais perdu.

Publié par Cam

Journaliste HPI/TSA à la recherche du mot juste et d'un monde plus ouvert à la différence. Créatrice du podcast Bande d'Autistes !
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