Alors que l’intelligence artificielle progresse à grands pas, l’intelligence humaine semble au contraire régresser. Réel constat scientifique ou terreur infondée ? De nombreux instituts de recherches dans le monde étudient notre cerveau en espérant percer les secrets de son fonctionnement. Ce mois de juin 2020, ARTE a rediffusé un reportage réalisé en 2015 par Amine Mestari mettant en avant les multiples découvertes de ces chercheurs. Qu’est-ce que l’intelligence ? Comment a-t-elle évolué ? Atypikoo vous propose un résumé et une plongée dans l’univers des psychologues, biologistes ou neurologues bien décidés à résoudre ce mystère.
Objet d’études et de débats, l’intelligence est la faculté de faire des liens entre les choses et de s’adapter à son environnement pour solutionner des problèmes.
Bien que nous soyons tous capables de raisonner et de comprendre des concepts immatériels, nous serions bien en peine d’expliquer d’où nous vient cette aptitude. Depuis quelques années, diverses études tentent de démontrer que l’intelligence humaine, jusqu’ici en constant progrès, serait en baisse. On observerait une chute des points de QI chez les générations nées après 1975. Un constat qui effraye. Mais notre intellect peut-il se résumer aux points de QI ? Comment peut-on le mesurer ?
À quelle vitesse votre cerveau prend-il une décision ?
L’étude menée par Francis Galton entre 1860 et 1880 sur la rapidité de notre temps de réaction a été comparée à de nouvelles études récentes. On constate alors une différence moyenne de 50 millisecondes entre notre vitesse et celle de nos ancêtres. Nous sommes malheureusement plus lents, mais sommes-nous pour autant moins intelligents ?
À l’institut Max Planck de Berlin, le problème de l’intelligence est pris sous un autre angle. Grâce à la reconstitution de boites crâniennes fossilisées, les chercheurs ont pu comparer la taille des cerveaux des Hommes de Cro-Magnon à celle des Homo Sapiens. Résultat : notre cerveau est plus petit. Dans le monde animal, les grands primates ou les cétacés tels que les dauphins sont eux aussi pourvus d’un gros cerveau. L’intelligence serait-elle liée à la taille ?
À l’école, en rendez-vous amoureux ou face à nos collègues, notre intelligence est sans cesse mesurée et remise en question. Nous pensons tous être capables de dire si quelqu’un est intelligent ou non. Mais sur quels critères basons-nous notre jugement si ce n’est sur notre propre bon sens ?
Mettre au point une échelle de l’intelligence et pouvoir enfin quantifier cette compétence jusqu’ici subjective, c’est l’espoir d’Alfred Binet et de Théodore Simon. Les deux chercheurs en psychologie créent le test de QI pour identifier le haut potentiel intellectuel (Quotient Intellectuel) au début du XXe siècle.
Le principe, définir des critères de compréhension, de mémoire et de raisonnement logique propres à chaque tranche âge. Les résultats d’une personne seront calculés en les comparant aux scores de son groupe d’âge. Un enfant de 10 ans réussissant les tests destinés aux enfants de 12 ans sera alors considéré comme en avance. (Calcul des points de QI = âge mental/âge réel*100.)
Le test de QI définit donc notre intelligence sur une échelle unique, par un nombre se situant ou non dans une moyenne.
Si ce test est aujourd’hui encore la référence pour mesurer l’intelligence, on constate qu’il ne suffit pas à en cerner tous les aspects. Pire, autoréalisé à la va-vite, sur internet et sans l’analyse d’un psychologue professionnel, il peut se révéler destructeur.
En étudiant les scores de tests passés dans plus de 40 pays, James Flynn avait observé au XXe siècle une élévation progressive des points de QI dans les pays occidentaux. Nommé « effet Flynn », ce phénomène se voit finalement renversé par une nouvelle étude de 2016. Cette fois, le QI général dans ces pays aurait tendance à régresser. L’intelligence serait donc fluctuante et soumise aux modifications de notre environnement ?
Les interactions avec nos proches ainsi que notre éducation peuvent en effet influencer notre réussite au test de QI, il a même été montré que notre nombre de points augmente en fonction de la durée de notre scolarisation. La démocratisation de l’école joue donc un rôle très important dans le développement de nos capacités intellectuelles.
Le test de QI ne serait-il qu’une performance à laquelle nous avons été plus ou moins bien préparés ? L’intelligence pouvant être comparée à un muscle, il suffirait de l’entrainer. Cette idée que seul le travail serait nécessaire pour devenir intelligent nous amène à penser que l’intelligence se « mérite ».
Les plus intelligents étant ceux ayant fourni le plus d’efforts, ils peuvent alors se sentir légitimement supérieurs. Pourtant le système éducatif connait des limites, notamment en ce qui concerne l’éducation d’enfants surdoués.
Notre capacité d’apprentissage, notre concentration, ne varient-elles pas énormément d’un individu à l’autre ? Ne dit-on pas d’un enfant qu’il a des « facilités » pour une matière ? D’où viennent ces facilités ? Peut-on nier ces différences de fonctionnement ?
Pour comprendre l’intellect et ne pas le cantonner à un apprentissage, il faut aller plus loin. Si les tests de QI et les théories développées il y a un siècle nourrissent toujours nos réflexions, les nouvelles technologies nous permettent désormais d’approfondir nos recherches. Et si, au lieu de mesurer ce que l’intelligence produit, nous nous intéressions au fonctionnement même de notre cerveau ?
À quoi ressemble un cerveau intelligent ? C’est la question que se sont posée Rex Jung et Richard Haier. Ces deux neuroscientifiques ont scanné divers cerveaux en activité afin de trouver la « zone de l’intelligence », en vain ! Si l’on a longtemps pensé qu’il existait un centre de l’intelligence à l’avant du cerveau, les recherches prouvent au contraire l’existence d’une communication intense entre diverses zones lors de la résolution de problèmes.
Étrangement, Haier remarque que plus les zones du cerveau sont stimulées pendant un test moins les résultats de ce test sont bon. Notre intelligence reposerait alors sur un principe de neuroefficacité. Être intelligent ne serait pas faire travailler notre cerveau plus intensément, mais au contraire être capable de résoudre un problème en faisant le minimum d’effort.
Si les zones du cerveau coopèrent effectivement entre elles, elles offrent également des stratégies parfois différentes pour résoudre un même problème. Face à ces choix multiples, nous devons inhiber les mauvaises stratégies, celles qui demanderont plus de temps et d’énergie pour parvenir à une solution.
Qui gère cette formidable coordination entre les différentes régions de notre cerveau ?
L’institut national de la santé de Washington, Douglas Fields s’intéresse à la composition même de notre cervelle. On y retrouve deux sortes de tissus :
La matière grise contient les neurones. En dessous se propagent des milliards de connexions nommées axones. Prolongement du neurone, les axones conduisent l’influx nerveux. Autour d’eux la myéline forme une gaine isolante blanche, aussi nommée matière blanche. C’est grâce à elle que les informations peuvent circuler de manière efficace dans le cerveau.
La myéline se développe après notre naissance et sa quantité peut varier d’un individu à l’autre. Bien que les neurones soient essentiels à l’intégration et à l’exécution de nos activités mentales et physiques, la myéline se révèle importante dans la propagation des informations d’un point du cerveau à un autre. Il a notamment été prouvé que les signaux se transmettaient 100 fois plus vite le long des axones lorsque ces derniers sont protégés par la myéline. Malheureusement de nos jours, la formation de cette précieuse substance blanche est perturbée.
La pollution, les produits chimiques ou les pesticides affectent le fonctionnement de la glande thyroïdienne, une glande responsable entre autres de la myélinisation. Ces produits avec lesquels nous sommes en contact tous les jours ont des effets considérables sur notre intelligence. (Les chercheurs ont découvert une perte de plus de 5 points de QI chez les enfants les plus exposés.). Si l’importance de la myéline a été sous-estimée, elle est loin d’être la seule.
Si la source de l’intelligence se trouve dans la structure complexe de notre cerveau pourra-t-on un jour la déterminer et la quantifier avec certitude ? Le plus intelligent sera-t-il celui qui possède le plus grand nombre d’astrocytes, le cerveau le plus rapide, de bons gènes ? Si les scientifiques de demain décidaient de mettre de côté l’influence de notre environnement et de notre éducation sur notre potentiel intellectuel, quelles en seraient les conséquences ?
L’intelligence détermine en partie notre niveau d’études, notre futur emploi, en discuter n’est jamais anodin. Notre intelligence nous donne une valeur, et c’est en nous basant sur cette valeur que nous créons des hiérarchies entre les Hommes. Que l’on parle de la « fuite des cerveaux » ou du statut de « surdoué », nous plaçons l’intelligence au plus haut de notre échelle de valeurs pour la vie humaine. L’intelligence détermine notre contribution envers la société. Qu’avons-nous à apporter ?
En considérant notre intelligence comme héréditaire, nous avons souvent tenté de faire de notre groupe d’appartenance une élite, surpassant les autres groupes. Intelligence de l’homme supérieure à celle de la femme, de l’homme blanc supérieure à celle de l’homme noir… Justifier la discrimination par le manque d’intelligence, un classique au fil des siècles. Si l’intelligence nous éloigne de l’animal, il est rassurant pour beaucoup de justifier un sentiment de supériorité en réfutant l’intelligence et donc l’humanité de l’Autre.
Les autistes, longtemps considérés comme déficients intellectuels font partis de ces personnes aux intelligences atypiques, nous ouvrant la voie dans la découverte de nombreux types d’intelligence, moins conformes aux standards, mais tout aussi enrichissants.
Le cerveau des musiciens prodiges a toujours fasciné les chercheurs. D’une complexité équivalente à celle de l’intelligence mathématique, l’intelligence musicale est extrêmement riche. Pour déchiffrer une partition, le musicien utilise ses connaissances et sollicite sa mémoire en revanche s’il improvise alors il invente, il est créatif.
Le cerveau du musicien nous prouve que différents modes de fonctionnement peuvent cohabiter. L’intelligence « classique » ne serait qu’une manière parmi d’autres de trouver des solutions à nos problèmes.
Selon le professeur Rex Jung, la créativité serait un processus de fonctionnement totalement indépendant et différent de l’intelligence. Les deux mécanismes travailleraient en coopération dans notre cerveau. Pour nourrir sa créativité, il faut en effet nourrir sa curiosité et son intelligence dans divers domaines. C’est le mélange et la transformation des connaissances et des expériences acquises à l’extérieur de notre zone de confort en quelque chose de neuf qui nous permet d’exprimer notre créativité.
Devant l’impossibilité d’évaluer l’intelligence avec une échelle de valeurs unique et face à la constante évolution de notre cerveau, il est important de rester ouvert aux nouvelles découvertes. Les neurosciences, la psychologie, la biologie… des disciplines qui rêvent toutes de répondre à cette question : qu’est-ce que l’intelligence ?
Que ferons-nous de ces futures découvertes ? Il ne tient qu’à nous de les utiliser afin d’améliorer notre connaissance de nous-même et des autres pour faire grandir une intelligence humaine commune.
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