Dans le monde du haut potentiel intellectuel, Catherine Cuche et Sophie Brasseur se démarquent par leur expertise et leur approche unique. Docteures en psychologie, elles allient depuis plus de vingt ans la rigueur scientifique à une pratique clinique adaptée aux spécificités individuelles. Leur travail, reconnu tant par leurs publications que par leurs interventions, explore les multiples facettes du HPI : des stéréotypes souvent véhiculés aux enjeux émotionnels et professionnels auxquels cette population peut être confrontée.

Dans cette interview exclusive pour Atypikoo, elles partagent leur vision nuancée du haut potentiel, leur Modèle Synthétique du Haut Potentiel Intellectuel (MSHPI) et leur nouvelle formation visant à accompagner l'adulte à haut potentiel sans stigmatiser.

Pouvez-vous vous présenter ?

Nous sommes Catherine Cuche et Sophie Brasseur, toutes deux docteures en psychologie, et nous travaillons sur la thématique du haut potentiel intellectuel depuis plus de vingt ans. Notre parcours se distingue par une approche combinant à la fois la recherche scientifique et la pratique clinique, ce qui constitue l'originalité de notre démarche. Cette approche nous permet d’allier la rigueur scientifique à un accompagnement personnalisé, tenant compte de la singularité de chaque individu.

Au fil des années, nous avons également écrit ou collaboré à plusieurs ouvrages sur le haut potentiel intellectuel. Nos expertises sont complémentaires : Catherine est thérapeute familiale et s’est spécialisée dans les questions de motivation et de perception de soi chez les personnes à haut potentiel, tandis que Sophie, qui pratique les thérapies cognitivo-comportementales de la quatrième vague (TCC), s’intéresse tout particulièrement au fonctionnement émotionnel de cette population.

Cela nous permet d’offrir une vision nuancée et complète du haut potentiel, à la fois sur le plan scientifique et thérapeutique.

Quels sont les stéréotypes et idées reçues les plus fréquents sur le HPI ?

Il existe encore une vision répandue qui associe le haut potentiel intellectuel (HPI) à l'image de "petits génies" qui réussissent tout sans difficulté et n'ont pas besoin de soutien. Si le HPI est souvent perçu, à juste titre, comme un facteur protecteur selon les recherches, il est essentiel de reconnaître la grande diversité de profils au sein de cette population, comparable à celle de la population générale.

Un mythe particulièrement tenace, même parmi les professionnels, est celui qui associe systématiquement HPI et hypersensibilité. Pourtant, les données scientifiques actuelles montrent clairement qu’il s’agit de deux concepts distincts. Il est crucial, dans le cadre de l'accompagnement des personnes HPI, de ne pas les confondre. Envisager la sensibilité élevée et le haut potentiel comme des caractéristiques indépendantes permet de mieux cerner les besoins spécifiques de chaque individu et d’adapter les interventions de manière plus précise. Nous approfondissons d’ailleurs largement cette question dans notre nouvelle formation, car elle est essentielle pour une compréhension plus juste de ces deux dimensions.

Quelles sont les spécificités que l’on retrouve chez les HPI et qui font consensus ?

Le consensus autour du haut potentiel intellectuel (HPI) repose principalement sur un niveau intellectuel élevé. Mais cela va au-delà des résultats aux tests : il s'agit également de particularités marquées dans le développement et les processus d'apprentissage. Les individus HPI se distinguent souvent par une précocité dans l'acquisition de compétences cognitives et motrices, et par une capacité à absorber et traiter l'information avec une rapidité exceptionnelle. Ces spécificités s’observent dès la petite enfance et se maintiennent tout au long de la vie.

La précocité et la rapidité des apprentissages plaident d’ailleurs en faveur de la reconnaissance des élèves à haut potentiel comme des élèves à besoins spécifiques. Leur rythme d’apprentissage singulier et leur besoin de stimulation nécessite des ajustements pédagogiques.

Est-ce que les tests de QI sont toujours adaptés pour détecter un individu à haut potentiel intellectuel ?

Les tests de QI restent aujourd'hui le seul moyen fiable et objectif pour identifier un haut potentiel intellectuel (HPI). Ils sont essentiels pour évaluer dans quelle mesure le profil intellectuel d’une personne s’écarte de la norme, la caractéristique clé du HPI. 

Il est important de souligner que les autotests disponibles sur internet pour identifier le haut potentiel sont souvent peu rigoureux. Ils incluent par exemple souvent des dimensions affectives qui, aujourd'hui, sont reconnues comme non pertinentes pour identifier un haut potentiel. Les véritables tests de QI sont construits avec des normes scientifiques strictes. Créer un test intellectuel valide, fiable et sensible demande un travail méthodologique conséquent, et les résultats doivent être interprétés avec précision. Nous conseillons donc de ne pas se fier à ces outils en ligne qui, bien que tentants, peuvent induire en erreur.

Il est vrai que des éléments comme la précocité, la rapidité et la capacité d'apprentissage peuvent attirer l'attention sur un potentiel HPI, mais ils ne garantissent pas à eux seuls une identification. Ces signes peuvent être absents ou peu visibles chez certaines personnes.

Cependant, bien que le test intellectuel soit indispensable pour identifier un HPI, le contexte dans lequel la personne passe ce test est tout aussi important. Par exemple, une personne en état de dépression ou de burn-out pourrait voir ses résultats faussés par son état psychique. C'est pourquoi l'interprétation des résultats doit se faire avec prudence. Le psychologue est formé à cette interprétation, ce qui garantit une évaluation plus précise et adaptée.

Il existe différents modèles pour identifier la douance, comme ceux de Renzulli ou Gagné. Vous avez également développé votre propre modèle. Pouvez-vous nous en dire plus sur le Modèle Synthétique du Haut Potentiel Intellectuel (MSHPI) ?

Le Modèle Synthétique du Haut Potentiel Intellectuel (MSHPI) s’appuie sur les avancées de la recherche et sur des modèles développementaux du haut potentiel, tels que celui de Gagné. Sa force réside dans sa capacité à répondre aux besoins des personnes à haut potentiel, en prenant en compte non seulement leur profil intellectuel, mais aussi leur fonctionnement global.

Ce qui différencie le MSHPI des autres modèles, et lui confère toute son utilité, c’est son objectif d’accompagnement. Alors que la plupart des théories sur le haut potentiel se concentrent sur le développement de l’excellence ou de talents exceptionnels, notre modèle est conçu pour répondre aux demandes concrètes des professionnels. Ces derniers accompagnent souvent des enfants ou des adultes HPI dont les préoccupations ne relèvent pas forcément de la recherche de la performance, mais plutôt de la gestion des difficultés ou des questionnements qui dépassent le seul cadre des aptitudes intellectuelles.

Dans la plupart des cas, le test de QI, à lui seul, ne suffit pas à répondre aux interrogations que les personnes apportent en consultation. Il devient alors essentiel de relier ce profil intellectuel à la manière dont la personne fonctionne au quotidien, afin de mieux comprendre son équilibre global. Le MSHPI permet d’éclairer cette analyse en identifiant les éléments clés à explorer pour offrir un accompagnement plus complet et pertinent.

Pouvez-vous nous parler des zones de haute potentialité et de votre vision autour de cela ?

Dans le cadre de notre accompagnement de nombreuses personnes à haut potentiel, nous avons constaté qu'une grande partie d'entre elles n'avait pas un profil intellectuel homogène. En d'autres termes, elles peuvent exceller de manière exceptionnelle dans certains domaines, mais pas nécessairement dans toutes les sphères évaluées. C'est à partir de cette observation que notre collègue, Isabelle Goldschmidt, a eu l'idée d'introduire le concept de "zone de hautes potentialités", afin d'offrir aux individus une vision plus nuancée et ajustée de leur profil.

Par exemple, une personne peut manifester une zone de hautes potentialités dans le raisonnement fluide ou logicomathématique, tout en ayant des compétences plus proches de la norme dans d'autres domaines, comme la mémoire de travail. Plutôt que de parler de "personne à haut potentiel", il est souvent plus pertinent de décrire un profil en identifiant les zones spécifiques où se manifestent ces potentialités élevées. Cela permet de mettre en lumière que le haut potentiel ne s'exprime pas de manière uniforme dans toutes les sphères de fonctionnement, offrant ainsi une vision plus nuancée et plus juste pour la personne concernée.

Vous venez de lancer un organisme de formation, à qui ces formations s’adressent elles, et qu’est-ce que vous proposez ?

Pour le moment, nos formations sont destinées aux professionnels de l’accompagnement, tels que les psychologues, psychomotriciens, orthophonistes, coachs, et autres métiers similaires. Récemment, nous avons développé une formation spécifique sur l’accompagnement des adultes à Haut Potentiel Intellectuel (HPI), car nous avons identifié un réel manque de ressources disponibles sur ce sujet.

Notre approche se base à la fois sur les données scientifiques les plus récentes et sur une forte dimension pratique. Nous souhaitons offrir aux professionnels des outils concrets pour mieux comprendre et accompagner les personnes présentant des particularités de fonctionnement, qu’il s’agisse de HPI, de haute sensibilité, ou d’autres spécificités.

Nous pensons qu’intégrer la prise en compte du haut potentiel est essentiel dans toutes les pratiques d’accompagnement. Cela dépasse les clivages entre différentes approches professionnelles et orientations thérapeutiques. En fait, tout professionnel, quelle que soit sa spécialisation, peut accompagner une personne HPI, à condition d’avoir une bonne compréhension de ce qu’implique le haut potentiel et de ses répercussions sur le fonctionnement de la personne

Votre formation inclut un volet sur le monde du travail. Quelles problématiques les HPI peuvent-ils rencontrer dans leur vie professionnelle ?

Il est essentiel de souligner que le haut potentiel intellectuel (HPI) constitue avant tout un atout pour la réussite professionnelle. Cela dit, dans cette partie de la formation, nous abordons des observations cliniques faites au cours de nos accompagnements, qui révèlent certaines difficultés spécifiques que peuvent rencontrer les individus HPI. 

Ces problématiques incluent notamment l’ajustement du rythme de travail à celui d’une équipe, ou encore l’adaptation de ses propres attentes au niveau de ses collègues ou collaborateurs. Une section est également dédiée à la gestion du burnout, bien qu'il soit crucial de préciser que le burnout n'est pas plus fréquent chez les personnes HPI que dans d'autres populations. Cependant, nous explorons les liens possibles entre le haut potentiel et les facteurs de risque associés au burnout, afin de mieux comprendre et prévenir cette situation lorsque cela s'avère nécessaire.

Vous abordez également la sphère émotionnelle dans votre formation, quels sont les enjeux pour les HPI à ce niveau ?

Nous constatons souvent que la gestion des émotions est un élément clé du parcours thérapeutique, et cela concerne aussi bien les personnes HPI que les autres. Les défis émotionnels sont similaires pour tous : il s’agit d’apprendre à reconnaître, comprendre et gérer ses émotions au quotidien. Les études montrent d'ailleurs qu’il n’y a pas plus de difficultés émotionnelles chez les personnes HPI que dans la population générale.

Cela dit, lorsqu’une personne HPI présente des difficultés émotionnelles, il devient essentiel de se demander si, dans sa situation particulière, le haut potentiel influence ces difficultés et, si oui, de quelle manière. Il s’agit donc d’un travail tout en nuances, visant à comprendre comment le haut potentiel peut venir teinter ou amplifier certaines problématiques émotionnelles.

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Publié par David Atypikoo

Suite à un test WAIS-IV en 2019, j'ai décidé de créer le réseau social Atypikoo pour contribuer à l'épanouissement des personnes (neuro)atypiques et leur permettre de faire des rencontres amicales et amoureuses. Passionné par la psychologie, le biohacking et la santé mentale, j'ai à cœur de transmettre mes connaissances afin d'aider les personnes qui partagent un fonctionnement singulier.
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8 commentaires sur Haut Potentiel Intellectuel : l'éclairage de deux docteures en psychologie