En France, une polémique divise professionnels, familles et associations : faut-il parler de diagnostic du HPI ou d'identification du HPI ?

Pour certains experts comme Nathalie Clobert, philosophe et psychologue clinicienne, "cette expression est un abus de langage. En effet, on parle de diagnostic concernant la reconnaissance d'une maladie par un médecin. Mais le haut potentiel n'est ni une maladie, ni un trouble du développement".

Pourtant, le terme "diagnostic" s'emploie couramment dans de nombreux domaines non-médicaux : on parle de diagnostic automobile pour identifier une panne, de diagnostic immobilier avant une vente, de diagnostic territorial pour analyser un territoire, ou encore de diagnostic pédagogique pour évaluer le niveau d'un élève. 

L'étymologie confirme cette polyvalence : issu du grec diagnôstikos, le terme signifie "apte à discerner, capable de reconnaître". Il se décompose en dia- ("à travers, par distinction") et gnôsis ("connaissance"), désignant un processus d'acquisition de connaissance par l'observation et l'analyse.

Mais au-delà de ces arguments linguistiques, l'analyse révèle un paradoxe révélateur : les experts qui dénoncent avec véhémence l'usage de "diagnostic HPI" utilisent eux-mêmes, quotidiennement et sans sourciller, l'expression "autodiagnostic HPI". Cette contradiction involontaire pourrait bien constituer l'argument le plus puissant en faveur de la légitimité du terme qu'ils combattent.

Les positions en présence

Le camp de l'identification : une approche désmédicalisée

Les partisans du terme "identification" s'appuient sur une distinction conceptuelle claire. Le haut potentiel n'appartient pas au champ de la médecine. Il appartient au champ de la psychologie, et plus précisément au champ de la psychologie différentielle, cette branche de la psychologie qui étudie les différences entre les individus, précise Nathalie Clobert.

Cet argumentaire repose sur plusieurs piliers. D'abord, la nature même du HPI : le haut potentiel intellectuel – ou HPI – est une différence rare en matière cognitive : il désigne des capacités intellectuelles nettement supérieures à la norme. On préfère donc parler d'identification plutôt que de diagnostic. Cette approche considère le HPI comme une variation normale de l'intelligence humaine, non comme une condition pathologique.

Les risques de médicalisation constituent le second axe argumentaire. La médicalisation du HPI comporte des risques non négligeables, notamment en termes de mauvais diagnostics, de focalisation sur les déficits et d'impact négatif sur la perception de soi, met en garde le Cabinet HPI Dordogne. Cette médicalisation pourrait conduire à une pathologisation inadéquate d'une caractéristique cognitive normale.

Estelle Joguet, psychologue clinicienne, synthétise cette position : Le Haut Potentiel Intellectuel correspond à une identification au test de QI. Il n'est pas un diagnostic médical et il n'est pas considéré comme un handicap. Cette distinction reflète une conception du HPI comme différence cognitive plutôt que comme trouble à diagnostiquer.

Le camp du "diagnostic" : la complexité méthodologique comme justification

Les défenseurs du terme "diagnostic" mettent en avant la sophistication du processus d'évaluation. Seul le test de QI permet de valider le HPI, rappelle Estelle Joguet, soulignant que cette évaluation nécessite des protocoles rigoureux comparables à ceux de diagnostics médicaux.

Le processus d'évaluation du HPI comprend généralement un entretien d'anamnèse (1h à 1h30), des tests psychométriques standardisés (WISC-V pour les enfants, WAIS-IV pour les adultes), une analyse différentielle et une synthèse clinique. Cette évaluation complexe (3h30 à 4h30 au total) justifie l'usage d'un vocabulaire clinique approprié.

La tradition française constitue un autre argument. De nombreux professionnels reconnus et centres hospitaliers universitaires utilisent naturellement le terme "diagnostic", intégrant officiellement l'évaluation du HPI dans leurs protocoles institutionnels. Cette approche s'inscrit dans l'évolution de la psychologie clinique française depuis les années 1950.

L'expertise différentielle représente le troisième pilier argumentaire. La complexité diagnostique du HPI réside dans la nécessité d'exclure systématiquement d'autres conditions neurodéveloppementales présentant des profils cognitifs similaires.

Le processus d'évaluation exige de différencier le HPI du TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité), dont certaines manifestations comportementales se chevauchent : rapidité de pensée pouvant être confondue avec l'impulsivité, ennui en classe similaire à l'inattention, besoin de stimulation intellectuelle mimant l'hyperactivité. Cette analyse différentielle nécessite une expertise clinique pointue, car un diagnostic erroné aurait des conséquences thérapeutiques et éducatives majeures.

De même, le HPI doit être distingué des troubles du spectre autistique (TSA), particulièrement chez les enfants présentant des intérêts intenses, des particularités sociales ou une sensibilité sensorielle. Les profils dits "twice exceptional" (HPI + TSA, ou HPI + troubles DYS) représentent une complexité diagnostique particulière, où les deux conditions peuvent se masquer mutuellement : le HPI compensant partiellement les difficultés, et les troubles masquant le potentiel intellectuel.

Cette expertise différentielle, comparable à celle requise pour d'autres évaluations neuropsychologiques complexes, justifie l'usage d'un vocabulaire clinique approprié reflétant la rigueur méthodologique nécessaire.

Le paradoxe révélateur de l'autodiagnostic

L'incohérence logique fondamentale

C'est ici que l'analyse révèle une contradiction majeure qui ébranle tout l'édifice argumentaire des opposants au terme "diagnostic". Si le HPI ne peut pas être "diagnostiqué" mais seulement "identifié", comment peut-il exister un "autodiagnostic" HPI ?

Cette incohérence logique traverse l'ensemble de la littérature spécialisée. Nathalie Clobert, qui rejette fermement le terme "diagnostic", écrit pourtant : "Le risque de l'autodiagnostic est d'enfermer la personne dans une étiquette réductrice, surtout lorsque cette étiquette est perçue comme une explication tant attendue à un chemin de souffrance".

Corentin Gonthier, maître de conférences en psychologie cognitive, abonde dans le même sens contradictoire : "L'autodiagnostic n'est pas fiable, puisque la plupart des caractéristiques que l'on cite en général (comme le sens de l'humour, de la justice, ou l'hypersensibilité) n'existent pas."

Plus frappant encore, l'expression "autodiagnostic HPI" est devenue courante dans les écrits professionnels, les sites spécialisés et même les publications académiques. Le blog "Rayures et Ratures" titre explicitement : L'autodiagnostic HPI, ou les "zèbres auto proclamés" et le Cabinet HPI Dordogne publie une page entière intitulée "Dangers potentiels d'un autodiagnostic HPI", énumérant les "risques majeurs de l'autodiagnostic".

Ce que révèle cette contradiction

Cette incohérence révèle une reconnaissance implicite du processus diagnostique par ceux-là mêmes qui le nient explicitement. Si les professionnels utilisent spontanément "autodiagnostic", c'est qu'ils admettent intuitivement l'existence d'un véritable diagnostic de référence effectué par leurs soins.

Le double standard est frappant : rigueur terminologique exigée pour les professionnels ("identification" uniquement), laxisme accepté pour critiquer les patients ("autodiagnostic"). Cette asymétrie révèle que le terme "diagnostic" est naturellement perçu comme le plus approprié pour décrire le processus d'évaluation du HPI.

L'usage massif du terme "autodiagnostic" dans la littérature critique constitue un aveu involontaire : même les opposants au terme "diagnostic" ne trouvent pas d'alternative crédible pour décrire les tentatives d'auto-évaluation. Ils n'écrivent jamais "auto-identification HPI" – expression qui sonnerait étrangement – mais bien "autodiagnostic".

Cette contradiction linguistique trahit une intuition professionnelle profonde : l'évaluation du HPI relève bien d'un processus diagnostique, avec ses critères, ses outils standardisés et son expertise spécialisée. Le rejet théorique du terme "diagnostic" ne résiste pas à l'usage pratique spontané.

Observons également que les mêmes professionnels qui rejettent "diagnostic HPI" acceptent sans broncher "autodiagnostic HPI". Si l'autodiagnostic existe, c'est bien qu'il y a un diagnostic professionnel en regard. Cette logique élémentaire semble échapper à ceux qui maintiennent cette position contradictoire.

Un raccourci de la section paradoxe pour plus d'impact

L'analyse des textes révèle que plus un professionnel critique l'autodiagnostic, plus il valide implicitement le caractère diagnostique de sa propre pratique. Cette contradiction involontaire constitue l'argument le plus fort en faveur de la légitimité du terme "diagnostic HPI" : même ses opposants les plus farouches ne peuvent s'empêcher de l'utiliser dans leur pratique quotidienne.

Perspectives internationales comparées

La position anglo-saxonne

Le monde anglophone adopte une approche résolument différente. L'Association Canadienne de Psychologie précise que "la douance n'est pas un diagnostic psychologique mais plutôt un terme descriptif". Cette position, partagée par l'ensemble des organisations professionnelles anglo-saxonnes, reflète une tradition éducative qui privilégie massivement le terme "identification" et évite systématiquement "diagnosis" pour la douance.

Cette préférence terminologique s'explique par une conception fondamentalement pédagogique : la douance est considérée comme une caractéristique nécessitant une adaptation éducative, non comme une condition médicale à évaluer cliniquement.

Cependant, même dans le contexte anglo-saxon, on observe des nuances. Les documents officiels américains sur l'évaluation de la douance utilisent régulièrement les expressions "diagnostic assessment" ou évoquent des "diagnostic criteria", montrant que la frontière terminologique n'est pas aussi absolue qu'il n'y paraît.

Vers une terminologie éclairée

Les enseignements du paradoxe

L'incohérence révélée par l'usage d'"autodiagnostic" suggère que le débat terminologique reflète plus des positions théoriques que des réalités pratiques. Dans le cadre des demandes de consultation pour "suspicion de haut potentiel", on identifie effectivement un HPI dans environ un cas sur trois à un cas sur cinq, observe Corentin Gonthier. Cette réalité statistique souligne l'importance de la qualité de l'évaluation, indépendamment de la terminologie employée.

Proposition de compromis terminologiques

L'analyse des contradictions suggère plusieurs pistes de réconciliation :

"Diagnostic psychologique du HPI" : cette formulation distingue clairement du diagnostic médical tout en reconnaissant l'expertise psychologique spécialisée et la rigueur méthodologique requise.

"Bilan psychologique HPI" : terme déjà établi en psychologie, neutre et descriptif, qui évite la controverse tout en reconnaissant la complexité du processus.

"Évaluation clinique du HPI" : compromis entre précision technique et accessibilité, évitant la connotation médicale.

Ces alternatives permettraient de sortir de l'impasse terminologique tout en préservant la rigueur professionnelle.

Conclusion

Le débat entre "diagnostic" et "identification" du HPI révèle bien plus qu'une simple querelle terminologique. L'incohérence logique de l'"autodiagnostic" met en lumière les contradictions internes des positions apparemment les plus tranchées et révèle une reconnaissance implicite de la nature diagnostique du processus d'évaluation.

Cette controverse éclaire les tensions de la psychologie française contemporaine : entre tradition clinique et pressions internationales, entre rigueur scientifique et dérives commerciales, entre spécificité culturelle et standardisation globale.

Il est essentiel de reconnaître et de valoriser les caractéristiques intrinsèques et le potentiel des individus à haut potentiel intellectuel. Quelle que soit la terminologie retenue, l'objectif reste identique : comprendre et accompagner au mieux ces profils cognitifs particuliers, dans le respect de leur singularité et de leur potentiel.

Le paradoxe de l'"autodiagnostic" révèle une vérité simple : nos mots spontanés trahissent souvent mieux nos conceptions profondes que nos positions théoriques. Dans ce cas précis, l'usage intuitif et massif du terme "autodiagnostic" constitue peut-être le meilleur argument en faveur de la légitimité du "diagnostic HPI".

Cette analyse révèle que la controverse terminologique, loin d'être stérile, éclaire les contradictions et les enjeux profonds d'une profession en mutation. Elle nous rappelle que parfois, nos pratiques linguistiques spontanées sont plus révélatrices que nos déclarations de principe.


Sources

Clobert, N. (2024). "Le HPI, c'est un diagnostic." In Idées reçues sur le haut potentiel intellectuel. Le Cavalier Bleu. https://shs.cairn.info/idees-recues-sur-le-haut-potentiel-intellectuel--9791031806334-page-15?lang=fr

Joguet, E. (2022). HPI, HPE, TSA, TDA(H)… DIAGNOSTIC OU PAS DIAGNOSTIC ? https://www.estellejoguet-psychologue.fr/index.php/2022/06/04/hpi-hpe-tsa-tdah-diagnostic-ou-pas-diagnostic/

Cabinet HPI Dordogne. Tour d'horizon de la pathologisation du HPI en France. https://www.cabinet-hpi-dordogne.fr/questions/base-tour-d-horizon-de-la-pathologisation-du-hpi-en-france

Cabinet HPI Dordogne. Dangers potentiels d'un autodiagnostic HPI. https://www.cabinet-hpi-dordogne.fr/questions/base-dangers-potentiels-d-un-autodiagnostic-hpi

Slate.fr. (2021). Pour en finir avec les fantasmes autour du HPI. https://www.slate.fr/story/214794/haut-potentiel-intellectuel-hpi-mythes-realite-idees-recues-fantasmes-stereotypes-intelligence-diagnostic

Rayures et Ratures. (2021). L'autodiagnostic HPI, ou les "zèbres auto proclamés" ? https://www.rayuresetratures.fr/autodiagnostic-hpi/

Florine Oury. (2024). HPI : définition, signes cliniques, difficultés fréquemment associées, diagnostic et prise en charge. https://tamadeus.ch/fr/plus/blog/169-hpi-definition-signes-cliniques-difficultes-fre-quemment-associe-s-diagnostic-et-prise-en-charge

Inclusive Perspectives in Primary Education. (2021). Section 2: Diagnosis and Traits of Giftedness Why and When to Assess. https://pressbooks.pub/inclusiveperspectives/chapter/section-2-diagnosis-and-traits-of-giftedness-why-and-when-to-assess/

Publié par David

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9 commentaires sur Diagnostic ou identification HPI ? Analyse d'une controverse révélatrice